La Cour de Cassation confirme que la loi française qui interdit les ventes subordonnées n’est pas conforme au droit communautaire

Par Eric Andrieu et Hortense Epaulard

Cour de cassation, Chambre commerciale, 13 juillet 2010

 

Orange propose une offre subordonnant l’abonnement à la chaîne Orange Sports à la souscription d’un abonnement à Internet haut débit Orange. Free et SFR attaquent Orange pour pratiques commerciales déloyales contestant cette double exclusivité, d’une part de distribution de produits audiovisuels et d’autre part de transport et d’accès. La Cour d’appel a infirmé le jugement du tribunal de commerce condamnant Orange pour violation de l’article 122-1 du code de consommation. Free et SFR se sont donc pourvus en cassation ce qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 13 juillet 2010.

 

I. L’application du principe d’interprétation conforme aux réglementations nationales concernant les pratiques commerciales déloyales
L’article 5 de la directive 2005/ 29/ CE précise que
« 1. Les pratiques commerciales déloyales sont interdites.
2. Une pratique commerciale est déloyale si:
a) elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle, et
b) elle altère ou est susceptible d\’altérer de manière substantielle le comportement économique,
par rapport au produit, du consommateur moyen qu\’elle touche ou auquel elle s\’adresse… ».
De plus, la directive établit une liste exhaustive de 31 pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances, sans faire l’objet d’une évaluation des circonstances d’espèce.

 

Dans un arrêt du 23 avril 2009, la CJCE affirme que la directive 2005/ 29/ CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à toute réglementation nationale qui, sauf certaines exceptions et sans tenir compte des circonstances spécifiques du cas d’espèce, interdit toute offre conjointe faite par un vendeur à un consommateur. En effet, seules les 31 pratiques de la liste présente dans l’annexe 1 de la directive sont considérées comme déloyales en toutes circonstances et l’offre conjointe ou la vente subordonnée n’en font pas partie.

 

L’article L. 122-1 du code de la consommation dispose qu’ «Il est interdit de refuser à un consommateur la vente d\’un produit ou la prestation d\’un service, sauf motif légitime, et de subordonner la vente d\’un produit à l\’achat d\’une quantité imposée ou à l\’achat concomitant d\’un autre produit ou d\’un autre service ainsi que de subordonner la prestation d\’un service à celle d\’un autre service ou à l\’achat d\’un produit » et prohibe ainsi la vente subordonnée qu’il associe à une pratique commerciale déloyale. SFR et Free considèrent que l’offre d’Orange réservant l’accès à sa chaîne Orange Sports aux clients de son offre triple play est une pratique commerciale déloyale conformément à cet article.

 

Free considère plus particulièrement que l’article L122-1 doit s’appliquer au cas d’espèce car la directive du 11 mai 2005 ne s’oppose qu’au maintien des réglementations nationales existantes lorsqu’elles instituent une interdiction générale et absolue de toute formes d’offres commerciales conjointes faites par un vendeur à un consommateur sans que le juge ne puisse tenir compte des circonstances spécifiques à chaque espèce. Or, Free précise qu’un examen préalable est prévu avant toute application de l’article L122-1 et que la jurisprudence nationale prévoit un certain nombre d’exceptions à la prohibition des offres subordonnées. Ainsi, Free affirme que l’article 122-1 n’est pas une interdiction absolue et devrait donc s’appliquer au cas d’espèce afin de condamner Orange pour pratiques commerciales déloyales.

 

La Cour de cassation considère que ces assouplissements ne sauraient remettre en cause la non application de l’article 122-1 du code de la consommation contraire au droit communautaire dont l’interprétation a été éclaircie par l’arrêt de la CJCE du 23 avril 2009.

 

Les adversaires d’Orange s’appuient également sur l’article 249 du Traité de Rome disposant que les directives n’ont pas d’effet direct dans les litiges entre particuliers pour faire valoir que la Cour d’appel, en écartant une réglementation nationale au profit d’une directive, a violé cet article. Enfin, ils accusent la Cour d’appel de ne pas avoir respecté le principe du contradictoire violant ainsi l’article 16 du Code de procédure civile. Free et SFR accusent la Cour d’appel d’avoir écarté la réglementation nationale qu’elle considérait contraire au droit communautaire pour appliquer la directive européenne à mauvais escient, sous le couvert de l’application du principe d’interprétation conforme. Ils font également valoir le fait que l’article 3-5 de la directive du 11 mai 2005 confère expressément aux Etats membres la possibilité de conserver des mesures plus restrictives que celles définies par la directive pour une période de six ans à compter du 12 juin 2007.

 

La Cour de cassation a finalement débouté Free et SFR de leurs demandes en affirmant que l’article 122-1 ne pouvait être appliqué au cas d’espèce puisqu’il était contraire à la directive 2005/ 29/ CE et à l’interprétation qui en était faite dans l’arrêt de la CJCE du 23 avril 2009 et respectant ainsi le principe d’interprétation.

 

II. Une offre traduisant la simple « capacité des offreurs de se différencier de leurs concurrents » 

 

L’article 5 de la directive précise qu’une pratique commerciale est déloyale si elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et si elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen, en particulier lorsqu’elle est trompeuse ou agressive.

 

SFR et Free accusent Orange d’utiliser des pratiques trompeuses en mettant en avant sur son site le prix modique de 6 euros par mois pour accéder à Orange Foot sans attirer l’attention sur la nécessité de souscrire à un abonnement ADSL Orange dont le prix est plus élevé que chez certains de ses concurrents. De plus, le fait qu’il faille alors résilier son précédent contrat car il est impossible d’avoir plusieurs fournisseurs pour une ligne téléphonique ne serait pas bien explicité. Cette offre compromettrait, selon eux, l’aptitude du consommateur à prendre une décision en connaissance de cause et altérerait donc substantiellement le comportement du consommateur. La Cour de cassation affirme que ceci ne permet pas de caractériser une pratique commerciale trompeuse étant donné qu’il est explicitement notifié sur le site qu’il faut avoir un abonnement Internet chez Orange pour pouvoir avoir la possibilité de souscrire à l’option Orange Foot et précise que le caractère substantiel de l’altération n’est pas présent.

 

De plus, Free et SFR estiment qu’Orange, en proposant une offre subordonnée, a recours à une pratique agressive, définie par l’article 8 comme une pratique altérant ou étant susceptible d’altérer de manière significative, du fait du harcèlement, de la contrainte, de l’utilisation de la force physique, ou d’une influence injustifiée, la liberté de choix ou de conduite du consommateur moyen, à l’égard d’un produit. Ainsi, Orange, par cette offre de vente subordonnée, amènerait le consommateur à prendre une décision qu’il n’aurait pas prise autrement. La Cour de cassation, quant à elle, considère qu’Orange ne peut être accusée de pratiques agressives n’ayant pas eu recours au harcèlement, à l’utilisation de la contrainte ou encore à une influence injustifiée et les parties n’invoquant aucun moyen précis au soutien de leur affirmation.

 

L’offre de vente subordonnée d’Orange est également accusée d’être contraire à la diligence professionnelle car elle oblige le consommateur à acheter un abonnement ADSL pour accéder à un bien rare que sont les matches de ligue 1 de Football et d’altérer ainsi la liberté du consommateur. Selon la Cour, le seul fait que le consommateur doive souscrire à un abonnement ADSL Orange pour accéder à l’option Orange sports ne répond pas à la définition de la contrainte énoncée à l’article 8. En effet, elle estime que cette offre est valable dans le cadre de la concurrence que les opérateurs se livrent car elle correspond à un simple enrichissement du contenu des offres pour les rendre plus attractives. Ainsi, parallèlement à l’offre d’Orange, Free proposait 16 bouquets d’environ 150 chaînes contenant 28 nouvelles chaînes dont 6 sportives et SFR avait des offres à peu près similaires. Dans ce contexte de concurrence entre opérateurs, le consommateur moyen se déterminera pour un abonnement ADSL en fonction des options qui pourront y être associées. Tous les fournisseurs d’accès Internet s’efforcent de rendre leurs offres plus attractives en en les enrichissant par la mise en place de services innovants ou l’acquisition de droits exclusifs sur des contenus audiovisuels cinématographiques ou des événements sportifs.

 

La Cour de cassation déboute SFR et Free de leurs demandes puisque, selon elle, la pratique commerciale d’Orange « laisse aux consommateurs toute liberté quant au choix de son opérateur ADSL » et que cette double exclusivité ne traduit que la « capacité des offreurs de se différencier de leurs concurrents ».

 

Cet arrêt est un exemple de l’examen d’une pratique commerciale qui, pour être qualifiée de déloyale, doit remplir deux critères, violation de la diligence professionnelle et altération substantielle du comportement du consommateur après une étude des circonstances du cas d’espèce. Les juridictions nationales ne peuvent plus s’en tenir à une approche globale de l’étude d’une pratique commerciale pour considérer que les critères de déloyauté sont présents. Conformément à la directive de 2005, il est nécessaire d’apprécier les critères généraux de déloyauté par rapport au cas d’espèce.

 

Ainsi, une vente liée ne peut plus être interdite par principe, sans tenir compte des circonstances spécifiques de chaque affaire. Cette décision devrait remettre profondément en cause certaines interdictions générales prévues par le Code de la consommation en matière de promotions des ventes