La publicité des alcools sur les réseaux sociaux

Par Eric Andrieu

1. La loi du 21 juillet 2009 a ouvert l’accès à Internet aux publicités en faveur des alcools.

 

Plus précisément, l’article L.3323-2 du Code de la santé publique a été complété par un 9°) qui permet la publicité des alcools « sur les services de communication en ligne à l’exclusion de ceux qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse, ainsi que ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives ou des ligues professionnelles au sens du Code du sport, sous réserve que la propagande ou la publicité ne soit ni intrusive, ni interstitielle. »

 

Cette évolution a amené les industriels du secteur à communiquer sur des sites de marques, ou dans le cadre d’achat d’espaces sur d’autres sites mais également sur les réseaux sociaux, et particulièrement sur Facebook.

 

Sur ce dernier point, l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA) a engagé des procédures qui ont été jugées par deux ordonnances de référé prononcées (dans la même composition) par le Président du Tribunal de grande instance de Paris.

 

2. Une première affaire concernait la publicité diffusée pour la marque Ricard sous l’accroche « Un Ricard. Des rencontres ». Elle a donné lieu à une ordonnance du 5 août 2011.

 

2.1 L’objet de cette étude étant limité à la publicité sur les réseaux sociaux, mentionnons simplement pour mémoire que ce slogan a été considéré par le juge comme manifestement illicite au motif que la notion de rencontre ne saurait se rattacher au simple mélange formé par l’anis et l’eau ou les sirops pouvant lui être ajoutés, mais qu’elle renvoyait directement au consommateur « en lui suggérant que la consommation de Ricard favorise les rapprochements et est une occasion d’entrer en relation avec d’autres personnes », ce qui est « une incitation directe à consommer du Ricard dans le but de vivre des moments de convivialité. »

 

Relevons tout de même que l’ordonnance rappelle que la création artistique des visuels n’est pas interdite, dès lors que la publicité implique nécessairement le recours à des agences de publicité qui font preuve d’imagination créative aux fins de valoriser le produit dans le cadre légal de l’article L.3323-4 du Code de la santé publique.

 

2.2 Sur le terrain de l’utilisation de Facebook, le juge a tout d’abord relevé que la présence de publicités sur des applications mobiles pouvant être téléchargées sur des smartphones par le biais d’une connexion Internet constituait un mode de publicité ni intrusif, puisque c’est l’utilisateur qui télécharge l’application, ni interstitiel, puisque la campagne publicitaire n’apparaît pas de manière intempestive et qu’il s’agissait bien d’un service de communication en ligne.

 

L’ordonnance ajoute cependant :

 

« Attendu que le fait d’être obligé d’ouvrir son compte Facebook pour télécharger l’application permet ainsi à la société Ricard de se faire connaître, d’améliorer son image ou celle de ses produits auprès d’un public cible, celui qui consulte Facebook, puisque l’information selon laquelle le téléchargeur a ouvert les applications Ricard est diffusée à tout son réseau de connaissances.

 

Qu’il s’ensuit que le fait de passer par le réseau social Facebook ne constitue pas seulement un service de communication en ligne mais amène la société Ricard à faire de la publicité de manière intrusive puisque l’intégralité des informations publiées sur Facebook, à l’exception du profil, peut être consultée. »

 

Ce qui semble donc reproché à l’annonceur est que si un internaute ouvre cette application via Facebook, ses amis sur le réseau en seront informés, ce qui, vis-à-vis d’eux, aurait un caractère intrusif.

 

Cette appréciation est factuellement contestable puisque les amis d’un membre Facebook ne sont pas avisés de toutes les applications qui auront pu être ouvertes par lui mais uniquement de celles qu’il aura déclaré aimer, ou de celles dont il aura accepté qu’elles leur soient communiquées.

 

Quant à ces dernières, elles n’apparaissent que sur le mur dans le fil des informations publiées par les uns et les autres sur Facebook.

 

Il s’agit de l’objet même du réseau qui a été accepté par chaque internaute lors de son adhésion et sans lequel il ne présenterait rigoureusement aucun intérêt.

 

Les informations ainsi communiquées ne sont dès lors aucunement intrusives, dès lors qu’elles ne correspondent pas à l’envoi d’une information non réclamée par l’internaute et qu’elles ne sont d’aucune manière de nature à polluer ou à retarder sa navigation sur le réseau.

 

La position prise par le Tribunal était au demeurant sensiblement plus extensive que celle du législateur. Il apparaît en effet des débats parlementaires que l’objectif de la loi excluant la publicité intrusive visait avant tout les pop-ups, c’est-à-dire une technique qui n’a rien à voir avec la publication d’informations sur une page Facebook .

 

3. L’ANPAA a ensuite poursuivi une campagne réalisée par J&B présentant, sur un fond noir recouvert de lignes de diverses couleurs dans une composition évoquant le drapeau britannique, une bouteille de la marque derrière laquelle apparaissait la silhouette d’un soldat de la garde.

 

La poursuite visait également un jeu « Quizz J&B » diffusé sur la page Facebook de la marque.

 

Cette affaire a donné lieu à une ordonnance de référé du 6 janvier 2012.

 

3.1 Là encore, il n’y a pas lieu d’insister sur le fond (bien qu’il se soit agi d’une procédure de référé) de l’affaire dans laquelle le juge a une nouvelle fois rappelé que « la création artistique d’une affiche n’est pas interdite » et que « la publicité implique nécessairement le recours à des agences de publicité qui font preuve d’imagination créative aux fins de valoriser le produit », pour retenir que les éléments poursuivis se rattachaient à l’origine britannique du produit et étaient en conséquence légitimes, dès lors qu’ils ne constituaient nullement une incitation à la consommation dépassant les limites de l’objectivité.

 

3.2 Pour ce qui concerne le jeu, relevons tout d’abord que ce n’est pas son principe lui-même qui était critiqué par l’ANPAA contrairement à une procédure qu’elle avait antérieurement mise en œuvre à l’encontre du site Glenfiddich.

 

Le grief portait sur le caractère intrusif de cette publicité « puisque le message publicitaire est diffusé automatiquement sur la page Facebook du client et sur celle de ses amis », l’ANPAA reprenant ici la motivation de l’ordonnance Ricard.

 

Le juge a cette fois rendu une décision contraire à celle prononcée dans l’affaire précédente.

 

Il a en effet indiqué que « le jeu ne constitue pas un mode de publicité intrusif puisque c’est l’utilisateur qui télécharge lui-même l’application, ni interstitiel, puisque le jeu n’apparaît pas de manière intempestive », avant de constater que « la publicité étant autorisée sur un service de communication en ligne, elle ne peut pas être interdite sur les réseaux sociaux tels que Facebook. »

 

Il est légitime de s’interroger sur la différence de motivation entre ces deux ordonnances.

 

En effet, factuellement la présence sur la page Facebook d’une marque d’alcool, d’un jeu promotionnel ou de divers éléments publicitaires est rigoureusement de même nature.

 

La démarche de l’internaute connecté sur cette page Facebook pour prendre connaissance des informations publiées par la marque est la même.

 

L’information qu’en recevront ses amis est également la même.

 

Il est par conséquent raisonnable d’imaginer que le tribunal, qui n’a pas il est vrai à être un spécialiste des réseaux sociaux, a été mieux informé dans le cadre du second dossier ou avait parfait son information entre temps.

 

Toujours est-il que, sous réserve de l’analyse de la Cour d’appel, la seconde décision semble mieux motivée, l’utilisation de Facebook ne pouvant être objectivement considérée comme intrusive au sens de l’article L.3323-2, 9° du Code de la santé publique.