Les dispositions de l’article 1843-4 du Code civil ont été modifiées cet été par l’ordonnance n°2014-863 du 31 juillet 2014 et sa nouvelle rédaction est entrée en vigueur le 3 août.
Cet article, applicable à la détermination du prix dans les cessions de droits sociaux, dispose désormais :
« I. – Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d’une cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible.
L’expert ainsi désigné est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.
II.- Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d’un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa.
L’expert ainsi désigné est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties. »
Cette modification était attendue de longue date en raison de l’incertitude créée par la jurisprudence écartant les modalités de détermination du prix de cession de droits sociaux définies conventionnellement par les parties en retenant que cette évaluation relevait du pouvoir d’appréciation exclusif de l’expert.
A l’origine conçu comme un texte protecteur de l’associé tenu de céder ses parts en vertu de la loi, son champ d’application a été progressivement étendu aux cas de cessions prévues par les statuts (Cass. com., 4 décembre 2007 ; Cass. com. 5 mai 2009) et mêmes à des conventions extrastatutaires (Cass. com., 24 novembre 2009, en l’espèce une promesse de vente). Il est vrai que l’ancienne rédaction visait « tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d’un associé ».
Depuis quelques années donc, l’on constatait une importante insécurité juridique en matière de détermination du prix, la jurisprudence permettant de s’affranchir des règles convenues entre les parties dans les statuts ou pacte, au motif que l’expert désigné devait jouir d’une liberté totale.
Anticipant la modification du texte, la chambre commerciale a commencé à modifier sa position par un arrêt du 11 mars 2014 en affirmant que les dispositions de ce texte étaient « sans application à la cession de droits sociaux ou à leur rachat par la société résultant de la mise en oeuvre d’une promesse unilatérale de vente librement consentie par un associé », excluant ainsi les conventions extra-statutaires.
La nouvelle rédaction de l’article 1843-4 du Code civil pourra dissiper les inquiétudes des praticiens.
1. Le nouveau champ d’application de l’article 1843-4 du Code civil
La nouvelle rédaction de l’article 1843-4 réduit considérablement le champ d’application de l’expertise qui n’est désormais obligatoire que dans les cas suivants :
– lorsque la loi renvoie à l’article 1843-4 pour fixer la détermination du prix de cession des droits sociaux d’un associé ou le rachat de ceux-ci par la société (article 1843-4 I) ; ou
– lorsque les statuts prévoient la cession des droits sociaux d’un associé ou le rachat de ceux-ci par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable (article 1843-4 II).
Les cas où la loi renvoie à l’article 1843-4 du Code civil visent essentiellement le rachat des droits sociaux d’un associé en cas de refus d’agrément du cessionnaire proposé, le refus d’agrément de l’héritier d’un associé décédé et le retrait d’un associé.
Les cas où les statuts prévoient un rachat sont plus variés mais, globalement, il s’agit des hypothèses de préemption et des clauses d’exclusivité.
Même dans ces hypothèses l’expertise sera exclue lorsque les statuts prévoiront des règles de valorisation.
Dans tous les cas, le recours à l’expert est toujours soumis à l’existence d’une contestation mais l’expert désigné sera désormais tenu d’appliquer les règles et modalités de détermination de la valeur prévues, le cas échéant, par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.
Les conventions extra-statutaires (pactes, promesses d’achat et de vente) semblent donc être à l’abri de l’application impérative de l’article 1843-4 du Code civil.
L’ordonnance du 31 juillet effectue en somme un contrepied intégral de la règle jusqu’ici en vigueur. L’évolution ne s’arrête pas là.
2. La liberté contractuelle l’emporte désormais sur la liberté de l’expert
De même que le champ d’application de l’expertise est réduit, la liberté de l’expert dans l’évaluation est désormais plus encadrée. Sous l’empire de l’ancien texte, l’expert avait toute latitude pour déterminer les critères qu’il jugeait les plus opportuns pour la détermination du prix et pouvait donc écarter les méthodes d’évaluation retenues par les parties.
Désormais, l’expert doit appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination du prix prévues par les parties et fixées par :
– les statuts de la société ou toute convention liant les parties lorsque l’expert intervient sur renvoi de la loi ;
– par toute convention liant les parties dans le cas des cessions statutaires.
L’expert ne retrouvera donc sa liberté d’évaluation qu’en l’absence de clause statutaire ou conventionnelle de détermination de prix, ou lorsqu’une telle clause ne permet pas de déterminer le prix.
Enfin, relevons que les modalités de désignation de l’expert demeurent inchangées. Celui-ci reste désigné par les parties ou, à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du Président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible.
Le principe selon lequel l’évaluation de l’expert est sans recours possible par les parties sauf le cas d’erreur grossière est également maintenu.
L’on ne peut que se féliciter de cette évolution règlementaire qui, pour une fois, va dans le sens de la liberté contractuelle.
Cela est d’autant plus important pour la sécurité juridique que les contentieux abondaient.
La volonté d’imposer une interprétation rigide de cette règle issue du Code Napoléon a fait long feu…
Pour profiter pleinement de ces dispositions, faut-il encore avoir songé à s’assurer de l’accord de chacun des associés dans une rédaction qui respecte et exprime clairement leur volonté : « ceci est autre histoire… »