Cass. Com., 12 juillet 2016, n° 14-23.310, n° 658 D
Par cet étonnant arrêt, la Cour de cassation approuve une Cour d’appel qui a considéré qu’un dirigeant pouvait être poursuivi en responsabilité pour insuffisance d’actif pour ne pas avoir tenté de demander une augmentation de capital quand bien même une telle décision relève de la compétence exclusive de l’assemblée générale extraordinaire.
Dans cette affaire, la société Lutrac Industrie a été mise en redressement puis liquidation judiciaires les 11 septembre 2003 et 15 janvier 2004. Dans ce cadre, le liquidateur a assigné en responsabilité pour insuffisance d’actif M. X (président de la société depuis le 5 juillet 2003 seulement !) ainsi que la société Yeson en sa qualité d’ancien dirigeant et son gérant, M. Y.
La Cour d’appel confirme la condamnation de M. X à supporter l’insuffisance d’actif à hauteur de la somme de 1.000.000 euros en énonçant : « si les apports de fonds à une société sont le fait des associés et non des dirigeants, qui ne peuvent, dès lors, se voir reprocher l’absence d’augmentation du capital, l’arrêt retient à bon droit que ces dirigeants peuvent cependant commettre une faute de gestion s’ils ne tentent pas d’obtenir une telle augmentation, lorsqu’elle s’avère nécessaire à la survie de la société ».
Le raisonnement de la Cour d’appel était basé sur le fait que le dirigeant avait connaissance, dès le rachat des actions de la société, le 5 juillet 2013, du fait qu’elle serait en cessation des paiements si elle n’était pas rapidement recapitalisée. Le fait de ne pas avoir tenté de faire procéder à l’augmentation de capital nécessaire constitue une faute de gestion.
Le dirigeant faisait également grief à l’arrêt d’appel d’avoir écarté la responsabilité de ses prédécesseurs. La Cour de Cassation a cependant considéré qu’aucune faute de gestion ne pouvait être retenue à leur encontre malgré le fait qu’ils aient procéder au « démantèlement » de la société dès lors qu’il n’était pas établi que c’était dans un intérêt personnel qu’ils avaient poursuivi l’exploitation déficitaire de la société. Ce raisonnement paraît d’autant plus curieux que la Cour d’appel n’a pas recherché en quoi le fait de ne pas avoir tenté de demander une augmentation de capital pourrait favoriser l’intérêt personnel du dirigeant.
En tout état de cause, ce débat n’a pas lieu d’être pour la Cour de cassation puisqu’un « dirigeant condamné à supporter l’insuffisance d’actif n’est pas recevable, même à titre de garantie, à agir contre un autre dirigeant poursuivi sur le même fondement et à critiquer le sort différent qui lui a été réservé ».
C’est d’ailleurs la seule réponse de la Cour de cassation qui ce faisant s’éxonère d’une réponse sur la pertinence de la question de l’intérêt personnel.
Ultime précision de cet arrêt, la Cour d’appel avait écarté la responsabilité des anciens dirigeants au motif que leurs irrégularités comptables ne relevaient pas d’une dissimulation volontaire et qu’en toute hypothèse, il n’était pas possible d’affirmer que ces irrégularités avaient joué un rôle causal dans la déconfiture de la société.
L’arrêt encourt la cassation de ce chef. La Cour aurait dû rechercher si ces irrégularités avaient eu un rôle dans l’insuffisance d’actif et non dans la déconfiture de la société.
En conclusion, l’on peut s’interroger sur la signification de de l’obligation de « tenter d’obtenir une augmentation de capital ». Cela signifie-t-il solliciter de manière informelle les actionnaires ? Convoquer une assemblée générale ayant pour ordre de jour une augmentation de capital ? La convocation d’une telle assemblée, suivie de la non-adoption par l’assemblée des résolutions relatives à l’augmentation de capital, sera-t-elle suffisante pour couvrir la responsabilité du dirigeant ?