Par un arrêt destiné à une large diffusion, la Cour de Cassation vient de rappeler un principe essentiel du régime du bail dérogatoire [1] : si le preneur se maintient dans les lieux au-delà du terme contractuel sans opposition du bailleur, il s’opère un nouveau bail soumis au régime des baux commerciaux.
En l’espèce, les parties avaient conclu un bail dérogatoire d’une durée de quatre mois. Aucune stipulation particulière ne prévoyait une tacite reconduction ou prolongation de celui-ci. Après l’échéance du bail, le preneur était resté dans les lieux sans que le bailleur ne cherche à mettre fin à cette occupation.
Le preneur avait finalement donné congé à son bailleur, plus d’un an après l’échéance du bail dérogatoire. Le bailleur a alors revendiqué l’application du statut des baux commerciaux et exigé le paiement de l’ensemble des loyers dûs jusqu’à l’échéance de la première période triennale.
Afin de s’y soustraire, le preneur a soutenu que la durée maximale de deux ans[2] n’avait pas été atteinte et que le bail dérogatoire s’était donc reconduit jusqu’à la date d’effet du congé.
La 3ème chambre civile de la Cour de Cassation a sanctionné ce raisonnement et retenu que le preneur s’étant maintenu dans les lieux après le terme du bail expressément visé au contrat, un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux avait pris effet.
Par cet arrêt, la Cour de Cassation rappelle non seulement la force du contrat qui avait prévu une durée de quatre mois et non vingt-deux, mais aussi qu’à une époque marquée par la volonté de protéger la partie la plus faible, la règle de droit doit, pour être comprise, être la même pour tous.
Les conséquences que la Cour a tiré du maintien dans les lieux du preneur après le terme contractuel sont parfaitement fondées et sont également justifiées par la nature du régime du bail dérogatoire, intrinsèquement lié à celui du bail commercial.
Cette décision est également l’occasion de rappeler aux praticiens et aux utilisateurs que le régime du bail dérogatoire est strict et exige une certaine vigilance. L’on retiendra que :
– Le bailleur peut avoir un intérêt à revendiquer l’application du régime des baux commerciaux. Il appartient donc également au preneur de veiller au respect de la date d’échéance de son bail dérogatoire et de s’assurer de la libération des locaux, s’il ne souhaite pas prendre le risque d’une prise d’effet d’un bail commercial.
– Afin d’éviter toute difficulté, il pourrait être opportun dans certaines hypothèses, de prévoir la reconduction tacite du bail dérogatoire, dans la limite de la durée maximale de trois années.
– Cet arrêt n’exclut en aucune manière le recours des parties à la conclusion de plusieurs baux dérogatoires successifs, dans la mesure où la durée totale des baux n’est pas supérieure à trois années.
[1] Civ. 3ème, 8 juin 2017, FS-P+B+I, n°16-24045
[2] L’arrêt a été rendu sous l’empire de l’ancien article L.145-5 du Code de commerce qui prévoyait que le bail dérogatoire ne pouvait pas avoir une durée supérieure à deux années. Depuis la loi dite Pinel du 18 juin 2014, cette durée a été portée à trois années.