Le principe de la présomption d’innocence n’interdit pas à l’employeur de sanctionner un salarié pour des faits dont il a eu licitement connaissance dans le cadre d’une procédure pénale.

Par Julie De Oliveira et Caroline Mas

Par un arrêt du 13 décembre 2017, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé qu’un employeur pouvait  « prononce[r] une sanction pour des faits identiques à ceux visés par la procédure pénale », sans méconnaitre le droit à la présomption d’innocence, même en l’absence de poursuites pénales (Cass. soc. 13 déc. 2017, n° 16-17.193).

 

Dans cette affaire, un salarié avait été entendu dans le cadre d’une enquête sur un trafic de stupéfiants au sein de l’entreprise où il travaillait.

 

Il avait par la suite été licencié pour faute en raison de la violation des dispositions du règlement intérieur interdisant « l’introduction, la distribution et la consommation sur le lieu de travail des drogues et substances hallucinogènes » et prévoyant qu’« il incombe à chaque salarié de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail ».

 

L’employeur avait eu connaissance de cette pratique en obtenant régulièrement une copie du procès-verbal d’audition libre du salarié reconnaissant devant les services de police avoir acheté de la résine de cannabis à l’un de ses collègues.

 

In fine, le salarié n’avait pas été mis en examen et n’avait fait l’objet d’aucune poursuite pénale. Il contestait par ailleurs les faits qui lui avaient été reprochés par son employeur lors de l’entretien préalable à licenciement.

 

La cour d’appel avait conclu à la nullité du licenciement qu’elle avait considéré comme une atteinte à la liberté fondamentale que constitue le droit à la présomption d’innocence.

 

Pour rappel, conformément à l’article 9-1 du Code civil, ce principe à valeur constitutionnelle interdit « avant toute condamnation, de présenter publiquement [une personne] comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire ».

 

L’article 6.2 de Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales dispose quant à lui que « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».

 

En l’espèce, au visa de ces deux textes, la Cour de cassation a censuré l’arrêt de la cour d’appel en précisant que « le droit à la présomption d’innocence […] n'[avait] pas pour effet d’interdire à un employeur de se prévaloir de faits dont il a régulièrement eu connaissance au cours d’une procédure pénale à l’appui d’un licenciement à l’encontre d’un salarié qui n’a pas été poursuivi pénalement » et que « la procédure disciplinaire est indépendante de la procédure pénale, de sorte que l’exercice par l’employeur de son pouvoir disciplinaire ne méconnait pas le principe de la présomption d’innocence lorsque l’employeur prononce une sanction pour des faits identiques à ceux visés par la procédure pénale ».

 

Cette décision met en lumière l’indépendance des procédures disciplinaires et pénales.

 

Le juge prud’homal conserve ainsi son emprise sur l’appréciation des faits fautifs commis pendant la relation de travail.

 

Il avait d’ailleurs déjà été jugé que l’employeur n’était pas tenu d’attendre l’issue d’une procédure pénale en cours pour notifier le licenciement (Cass. soc. 26 janvier 2012, n° 11-10.479).

 

La Cour de cassation va donc plus loin en permettant au juge prud’homal d’apprécier les faits reprochés indépendamment de leur éventuelle qualification pénale.

 

Dans l’arrêt du 13 décembre 2017, la Cour n’a pas statué sur le bien fondé du licenciement, les juges du fond ayant retenu la nullité de celui-ci pour violation d’une liberté fondamentale (le droit à la présomption d’innocence).

 

Sur ce point, la jurisprudence est constante : si un salarié est relaxé faute d’éléments permettant de retenir sa culpabilité, le licenciement fondé uniquement sur les mêmes faits que ceux pour lesquels il était poursuivi sera déclaré sans cause réelle et sérieuse par la juridiction prud’homale, du fait de l’autorité de la chose jugée du pénal sur le civil (Cass. soc. 7 nov. 1991, n° 90-42.645).

 

En pratique, les employeurs sont donc invités à viser dans la lettre de licenciement des motifs différents ou complémentaires de ceux déférés devant le juge pénal, telle que la violation du règlement intérieur et à se référer à des éléments de preuve autres que ceux issus de la procédure pénale (en l’espèce, un test de dépistage aurait pu être organisé, des témoignages auraient été utiles).