Le contenu de conversations échangées via la messagerie du réseau social Facebook entre une salariée et une ancienne collègue n’est plus nécessairement privé, de sorte que l’employeur peut produire loyalement ces messages en justice pour fonder un licenciement sous certaines conditions.
En effet, par un arrêt du 2 février 2018, la cour d’appel de Toulouse a été amenée à se prononcer sur la problématique suivante : le contenu de la messagerie Facebook d’un salarié utilisant l’ordinateur mis à sa disposition par l’entreprise est-il public lorsque le salarié laisse délibérément sa session ouverte et accessible à l’ensemble du personnel ?
En l’espèce, sur la messagerie de son compte Facebook, dans le cadre d’une discussion avec une ancienne collègue, une salariée avait échangé des propos particulièrement injurieux, irrespectueux et malveillants à l’encontre de la société (et de sa gérante), de sa supérieure hiérarchique et d’autres collaborateurs de l’entreprise.
L’employeur avait pris connaissance de ces échanges alors que la salariée avait quitté son poste de travail tout en laissant volontairement sa session ouverte.
Au regard de la nature insultante et dénigrante des propos tenus, il procédait au licenciement pour faute grave de la salariée.
La question était de savoir si la production en justice d’extraits de messagerie Facebook par l’employeur était de nature à violer le droit au respect de la vie privée de la salariée ou au contraire si elle constituait un mode de preuve licite du bien-fondé du licenciement.
Le cas d’espèce est original en ce sens que l’employeur se prévalait d’un contenu par essence privé (correspondances issues de la messagerie Facebook) mais intentionnellement laissé au vu et au su de tous dans l’entreprise.
Depuis quelques années, la prolifération des réseaux sociaux et leur utilisation exponentielle par les salariés au travail ont conduit à une multiplication des cas de recours.
Les atermoiements des juges du fond pour savoir si Facebook constitue un espace public ou privé se sont cristallisés autour de la notion de paramétrage du compte.
La page Facebook est généralement considérée par la jurisprudence comme appartenant à la sphère privée du salarié lorsqu’elle est paramétrée de façon à en restreindre l’accès aux seuls « amis » de celui-ci (voir par exemple : CA Rouen, Ch. soc., 15 nov. 2011, n°11/01827).
A défaut, dès lors que la page est accessible aux « amis d’amis », la page a pu être considérée comme publique l’employeur pouvant la produire devant le juge prud’homal, notamment pour prouver les propos dénigrants d’un salarié (CPH Boulogne-Billancourt, 19 nov. 2010, départage, n°09/00316 et n°09/00343).
A également été jugée comme un moyen de preuve licite la production d’extraits de propos diffamatoires et insultants tenus sur Facebook via un compte dont les critères de confidentialité n’avaient pas été activés et qui étaient donc accessibles à de nombreux salariés et des clients, l’image de la société s’en trouvant atteinte (CA Lyon, 24 mars 2014, n°13/03463; CA de Toulouse ch. 04 sect. 02, Ch. soc., 24 mars 2017, n°15/02765). La cour d’appel de Lyon a en effet considéré que le salarié avait lui-même contribué à la donner toute publicité à la description de l’entreprise faite dans des termes caractérisant un abus dans l’exercice de sa liberté d’expression.
En 2013, la 1ere chambre civile de la Cour de cassation dans une affaire d’injure a retenu deux critères pour la détermination du caractère privé d’une page Facebook :
– qu’elle ne soit accessible qu’aux seules personnes agréées par l’utilisateur ;
– que le nombre de ces personnes soit très restreint.
Si ces conditions sont remplies, les propos tenus sur une page Facebook le sont dans le cadre d’une communauté d’intérêts et ne sont donc pas considérés comme publics (Cass. 1ere civ. 10 avr. 2013, n°11-19.530).
Autrement dit, dans le cadre d’un contentieux prud’homal, l’employeur ne saurait produire aux débats un tel contenu sans que celui-ci constitue un mode de preuve illicite.
L’arrêt de 2013 génère des difficultés d’appréciation notamment sur la notion de « nombre très restreint » et sur la limite au-delà de laquelle les personnes autorisées à consulter les données Facebook d’un utilisateur ne constitueront plus une communauté d’intérêts.
L’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 2 février 2018 ne précise pas quels étaient les paramétrages du compte Facebook de la salariée.
La question posée était essentiellement de savoir si une correspondance privée pouvait être rendue publique par son exposition volontaire par le salarié.
Le conseil de prud’hommes de Toulouse avait jugé que le licenciement reposait sur une faute grave et avait débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes. Le jugement a été confirmé en toutes ses dispositions par la cour d’appel de Toulouse.
En effet, pour retenir la faute grave, la cour d’appel de Toulouse, s’appuyant sur la motivation des juges de première instance, considère :
« la Sarl Autour du bain produit l’attestation circonstanciée de Mme Z, selon laquelle la session Facebook de Mme X était volontairement restée ouverte sur l’ordinateur de l’entreprise, rendant les conversations publiques et visibles de l’ensemble des salariés du magasin. Mme X ne produit aucun élément de nature à remettre en cause la sincérité de cette attestation ni à démontrer que l’employeur aurait usé d’un stratagème pour accéder à la messagerie Facebook de la salariée qui, à défaut d’être ouverte, est protégée par un login et un mot de passe.
C’est donc a bon droit que les premiers juges ont considéré que les propos tenus par Mme X son compte Facebook, affichés sur l’écran de l’ordinateur de l’entreprise, visibles de toutes les personnes présentes dans le magasin, auraient perdu leur caractère privé ».
Les juges du fond ont également jugé que le comportement de la salariée était corroboré par deux autres membres du personnel qui confirment avoir subi de son fait des remarques dénigrantes, méchantes et insultantes.
De son côté, la salariée, en sus d’invoquer la jurisprudence classique des juges du fond sur le caractère privé de tels correspondances, arguait du fait que la plupart de ces conversations avaient été échangées lorsqu’elle se trouvait en arrêt maladie et que celles-ci étaient donc nécessairement privées.
La cour écarte cette argumentation au motif que c’est au temps et au lieu de travail que la salariée a manqué gravement à ses obligations, peu important le moment où ces messages avaient été initialement échangés.
De surcroît, la salariée n’apportait aucun élément de nature à contredire les attestations produites par l’employeur.
En laissant sciemment sa session Facebook ouverte, la salariée a rendu public un contenu par nature privé. Son action délibérée a ainsi conduit la cour à retenir la licéité du mode de preuve utilisé par l’employeur.
La cour d’appel a donc validé le licenciement pour faute grave, considérant que ces éléments ne permettaient plus à l’employeur de poursuivre la relation contractuelle avec sa salariée.
Reste à savoir si un employeur qui échouerait à démontrer l’intentionnalité d’un tel comportement par le salarié pourrait produire en justice un contenu ainsi obtenu.
A cet égard, l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse est à mettre en perspective avec un récent arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation.
Dans cette décision, les Hauts magistrats avaient considéré que ne sont pas des modes de preuve recevables les informations recueillies sur le profil Facebook d’une salariée grâce au téléphone portable professionnel d’un autre salarié, alors que ces informations étaient réservées aux seules personnes autorisées par l’intéressée.
Dans ces circonstances, la Cour avait considéré que l’employeur ne pouvait y accéder sans porter une atteinte disproportionnée et déloyale à sa vie privée (Cass. soc. 20 déc. 2017, n° 16-19.609).
En tout état de cause, le contentieux issu de l’utilisation des réseaux sociaux dans l’entreprise est loin d’être épuisé.
CA Toulouse, 2 févr. 2018, 4ème ch., Sec. 2, Mme X. / Autour du bain