La modification conventionnelle du loyer justifie le déplafonnement du bail commercial : chronique d’une double peine

Par Nicolas Sidier et Aurélie Pouliguen-Mandrin

Il est acquis depuis longtemps que la modification conventionnelle du loyer intervenue en cours de bail, peut justifier un déplafonnement du loyer, et ce en application des dispositions cumulées des articles L.145-33, L.145-34 et R.145-8 du Code de commerce [1].

 

Par un arrêt rendu le 15 février 2018 appelé à une large publication[2], la Cour de Cassation a apporté une précision importante sur une hypothèse bien spécifique, consacrant une conception extensive de la règle.

 

En l’espèce, un bailleur avait engagé sur le fondement des dispositions de l’article L.145-39 du Code de commerce, une procédure de révision légale applicable, pour mémoire, dans l’hypothèse où par l’effet d’une clause d’indexation, le loyer évolue en cours de bail de plus de 25% par rapport au dernier loyer fixé.

 

Une procédure devant le juge des loyers puis en expertise judiciaire s’en étaient suivies. En suite du dépôt du rapport d’expertise, les parties étaient convenues de mettre fin à leurs procédures par la conclusion de deux avenants.

 

Ces avenants le rappelaient expressément de sorte que leur caractère conventionnel se rattachait a minima à une contrainte procédurale.

 

Le bailleur s’est néanmoins prévalu de ces actes comme modification notable des obligations des parties justifiant le déplafonnement du loyer. Le preneur s’y est opposé en faisant valoir que la fixation consensuelle du loyer, en raison de la conclusion d’un avenant de révision ne pouvait être invoquée puisqu’elle était destinée à mettre fin à une procédure de révision du loyer.

 

La haute juridiction n’a pas fait droit à cette position considérant que cette modification entraînait nécessairement le déplafonnement du loyer.

 

En l’espèce, le preneur qui avait donc vu ses deux loyers augmenter largement au titre de leur révision, a dû supporter une nouvelle augmentation au moment du renouvellement des baux.

 

Une explication à ces arrêts peut sans doute être recherchée du côté de la cohérence économique. Il est vrai que si la position du preneur avait été retenue par la Cour de Cassation, le montant du loyer des baux renouvelés, aurait diminué significativement compte tenu de l’application du plafond. La solution adoptée par la haute juridiction évite ce qui aurait été présenté comme un « paradoxe » et permet de conserver une stabilité de loyer.

 

Toutefois, à l’heure où les tribunaux et la réforme de la justice en cours, incitent de plus en plus aux modes alternatifs de règlement des conflits, une telle décision parait critiquable. En effet, l’enjeu essentiel pour ne pas dire unique de la régularisation des avenants, était bien de mettre un terme aux procédures de révision légale engagées par le bailleur. Ainsi ces deux arrêts dénient le contexte judiciaire dans lequel se trouvaient les parties au jour de la conclusion des avenants.

 

A suivre le raisonnement de la Cour de Cassation, mieux aurait donc valu que le preneur attende d’être condamné étant observé que l’on aurait également pu imaginer que les avenants incluent une clause de renonciation du bailleur à se prévaloir de l’accord comme motif de déplafonnement ce qui impliquait tout de même que les parties s’entendent sur ce point…

 

 

[1] Cass.Civ.3ème, 04.04.2001, n°99-18899 ; Cass.Civ.3ème, 24.03.2004, n°02-16933

[2] Cass.Civ.3ème, 15.02.2018, n°17-11866 et 17-11867 ; FS-P+B+I