L’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail a fixé par l’intermédiaire de l’article L.1235-3 du Code du travail, un barème de l’indemnité à la charge de l’employeur pour les cas de licenciements sans cause réelle et sérieuse.
Cette ordonnance avait au préalable fait l’objet d’une action en référé-suspension devant le Conseil d’Etat sur le fondement de l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) du 22 juin 1982 ratifiée par la France le 16 mars 1989, et de l’article 24 de la Charte Sociale Européenne du 3 mai 1996. La Haute juridiction administrative avait alors jugé que le barème n’entrait pas en contradiction avec ces dispositions (CE 7 décembre 2017, n°415243).
De la même façon, lors de l’examen de la loi de ratification des ordonnances, le Conseil constitutionnel avait considéré que le barème était conforme à la Constitution (C.constit., décision 2018-761 DC du 21 mars 2018, JO du 31).
Par la suite, dans une décision rendue le 26 septembre 2018 (n°17/00538), le conseil de prud’hommes du Mans a estimé que le référentiel obligatoire pour les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse n’était pas contraire à la convention n°158 de l’OIT qui impose une indemnisation adéquate ou une toute autre réparation appropriée.
Le plafonnement et le barème des indemnités prud’homales ont fait l’objet de nombreux débats parmi les justiciables, les organisations syndicales et les professionnels du droit, au point que de nombreux salariés ont pris le parti de soulever la nullité de leur licenciement en se prévalant de faits de harcèlement ou de discrimination notamment pour échapper à l’application de l’article L. 1235-3 du Code du travail et obtenir des dommages et intérêts plus élevés.
D’autres ont porté leurs litiges devant les juridictions en se fondant sur la Convention OIT n° 158 et/ou sur la Charte Sociale Européenne, cherchant à redonner leur liberté d’appréciation du préjudice aux juges et obtenir in fine une indemnisation plus juste.
Et il semble que leur position ait trouvé écho auprès de certains conseils de prud’hommes.
Ainsi, par trois jugements en date des 13, 19 et 21 décembre 2018, les Conseils de prud’hommes de Troyes, Amiens et Lyon ont considéré que le barème était contraire à l’article 24 de la Charte Sociale Européenne et à l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT et l’ont écarté pour rendre leurs décisions.
Etant précisé qu’à chaque fois, ce sont des formations paritaires, composées donc de conseillers salariés et employeurs, qui se sont prononcées en ce sens.
C’est le conseil de Prud’hommes de Troyes (RG n° 18/00036) qui a été le premier à estimer que l’ensemble des faits dont il était saisi, en l’espèce le manquement dans le paiement des salaires et l’appauvrissement des missions confiées caractérisaient une déloyauté contractuelle justifiant une résiliation judiciaire aux torts de l’employeur.
Pour fixer le montant des dommages et intérêts à allouer au salarié, les conseillers prud’hommes ont retenu l’inconventionnalité du plafonnement et du barème fixés par l’article L.1235-3 du Code du travail en invoquant l’applicabilité directe de l’article 10 de la convention OIT n°158 et de l’article 24 de la Charte Sociale Européenne. Les conseillers prud’hommes ont également précisé dans leur décision que le barème « ne permet[tait] pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi ».
Le 19 décembre 2018, ce fut au tour du conseil de prud’hommes d’Amiens (n°18/01238) sur le seul fondement de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT, d’écarter le barème, au motif que l’indemnité d’un ½ mois de salaire à laquelle le salarié pouvait prétendre, ne pouvait être considérée comme « appropriée ou réparatrice du licenciement sans cause réelle et sérieuse ».
Enfin, le conseil de prud’hommes de Lyon, dans sa décision (n°18/00040), a accordé à un salarié, dont le contrat avait été rompu abusivement au bout d’un jour, une indemnité égale à 3 mois de salaire, estimant que l’indemnisation devait être « évaluée à la hauteur de son préjudice », conformément à l’article 24 de la Charte Sociale Européenne.
Ces 3 décisions marquent l’ouverture d’une période d’incertitude pour les employeurs sur l’application du barème d’indemnisation par les juridictions prud’homales dans les contentieux à venir, et ce alors même que l’objectif initialement poursuivi par l’Ordonnance « Macron » était de sécuriser les ruptures de contrat de travail.
Cette jurisprudence devrait inciter de nouveau les salariés licenciés à faire valoir leurs droits en justice et le nombre de litiges en la matière pourrait augmenter sur les prochains mois.
Et ce jusqu’à ce que des cours d’appel voire la chambre sociale de la Cour de cassation se positionnent de manière ferme sur la validité du plafonnement et du barème des indemnités prud’homales.
Le débat est donc loin d’être clos…
CPH de Troyes, 13 décembre 2018, RG F 18/00036, G.c/G
CPH d’Amiens, 19 décembre 2018, RG F 18/00040, T.c /SARL Jamlah
CPH de Lyon, 21 décembre 2018, RG F 18/01238, X.c / Association Adapei du Rhône