Le contexte
Depuis le 24 septembre 2017, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est encadrée.
D’après le barème de l’article L. 1235-3 du code du travail, le montant de cette indemnité est compris entre un minimum et un maximum variant en fonction de la taille de l’entreprise mais surtout au regard de l’ancienneté du salarié, avec un plafond de 20 mois de salaire pour les salariés ayant 30 ans d’ancienneté et plus.
Ce barème n’est pas applicable dans certains cas (notamment en violation d’une liberté fondamentale, en lien avec des faits de harcèlement moral ou sexuel, en application d’une mesure discriminatoire ou à la suite d’une action en justice engagée par le salarié sur la base des dispositions réprimant les discriminations, etc.).
Par ailleurs, l’indemnisation prévue par le barème s’ajoute à l’indemnité de licenciement et au préavis ; elle n’est pas exclusive de l’indemnisation de préjudices distincts (dommages et intérêts pour procédure vexatoire, exécution déloyale du contrat, etc.), ni de demandes de rappels de salaire, etc.
Sujet à polémique, le barème a été contesté par certains conseils de prud’hommes qui ont décidé d’écarter son application au motif qu’en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, il serait contraire :
– à l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), selon lequel l’indemnité doit être « adéquate » ou prendre « toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » ;
– à l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui consacre le « droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée » ;
– à l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales selon lequel « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi ».
Le 26 février 2019, le Ministère de la Justice rappelait, dans une circulaire relative à l’indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, que les décisions du Conseil d’Etat du 7 décembre 2017 et du Conseil constitutionnel du 21 mars 2018 avaient validé ce barème.
En effet, le Conseil d’État avait considéré que le barème n’était pas en contradiction avec la convention n°158 de l’OIT ni avec la Charte sociale européenne (CE 7 décembre 2017, n° 415 243) et le Conseil constitutionnel avait estimé le barème conforme à la Constitution (CC, décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018).
Les avis de la Cour de cassation
Le 8 juillet 2019, la formation plénière de la Cour de cassation s’est réunie pour examiner deux demandes d’avis émanant des conseils de prud’hommes de Louviers et de Toulouse qui avaient refusé de se prononcer sur la question de la conformité du barème.
Dans ses deux avis du 17 juillet 2019 (Cass. avis, 17 juill. 2019, n°15012 P+B+R+I ; Cass. avis, 17 juill. 2019, n°15013 P+B+R+I), la Cour de cassation a validé le barème d’indemnisation prévu par l’article L.1235-3 du code du travail considérant que :
– il était compatible avec les dispositions de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT, lequel n’interdisait aucunement le plafonnement de l’indemnisation, reconnaissant ainsi aux Etats une marge d’appréciation.
– les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail n’entraient pas dans le champ d’application de l’article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la mesure où elles ne constituaient pas un obstacle procédural entravant l’accès à la justice.
– la Charte sociale européenne n’avait pas d’effet direct en droit interne et ne pouvait donc être invoquée dans un litige entre particuliers. En effet, les parties, au sens de la Charte, sont les Etats et non les employeurs, personnes privées, lesquelles ne sont pas directement liées par la Charte
La résistance de certains conseils de prud’hommes
A la suite de ces deux avis de la Cour de cassation, certains conseils de prud’hommes ont toutefois refusé d’appliquer le barème.
C’est ainsi que les conseils de prud’hommes de Grenoble et de Troyes, statuant tous deux en départage les 22 et 29 juillet 2019 et celui de Nevers le 26 juillet 2019 ont écarté le barème considérant notamment que l’avis de la Cour de cassation ne constituait pas une décision au fond et que l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT et article 24 de la Charte sociale européenne prévoyaient que l’indemnité pour licenciement abusif devait être « adéquate », ce qui selon eux n’était le cas dans les affaires débattues (RG n° 18/00267, n° 18/00169 et n°18/00050).
La position des cours d’appel de Reims et de Paris
Dans un arrêt du 25 septembre 2019, la Cour d’appel de Reims, première juridiction du second degré à être saisie, a estimé le barème Macron conforme aux normes internationales (articles 10 de la Convention n° 158 de l’OIT et 24 de la Charte sociale européenne) ratifiées par la France respectivement en 1990 et 1999.
« le plafonnement instauré par l’article L. 1235-3 du code du travail présente des garanties qui permettent d’en déduire qu’au regard de l’objectif poursuivi, l’atteinte nécessaire aux droits fondamentaux n’apparait pas, en elle-même , disproportionnée ».
Sur ce point, la décision s’inscrit dans le sens des deux avis de la Cour de cassation qui avait estimé le barème « compatible » à la Convention.
Pour autant, la cour d’appel a considéré que le juge pouvait contrôler la proportionnalité du plafonnement du barème légal par rapport à la situation personnelle du salarié :
« Le contrôle de conventionnalité ne dispense pas, en présence d’un dispositif jugé conventionnel, d’apprécier [si le barème] ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné c’est-à-dire en lui imposant des charges démesurées par rapport au résultat recherché.
La recherche de proportionnalité, entendue cette fois « in concreto » et non « in abstracto » doit toutefois avoir été demandé par le salarié » (CA, Reims, ch. soc., 25 sept. 2019, n° 19/00003).
En outre, la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 18 septembre 2019, a considéré que les articles 10 de la Convention n° 158 de l’OIT et 24 de la Charte sociale européenne s’imposaient directement aux juridictions françaises alors que, dans son avis du 17 juillet 2019, la Cour de cassation avait dénié, à l’article 24 de la Charte sociale européenne, tout effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers (Cass. avis, 17 juill. 2019, n°15013 P+B+R+I).
C’est ainsi que la cour d’appel de Paris a jugé :
« L’article 10 de la convention de l’OIT n°158 et l’article 24 de la Charte européenne ratifiée le 7 mai 1999 et qui s’impose aux juridictions françaises affirment dans les dispositions relatives à la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur que le salarié doit se voir allouer une « indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».
[…] que la réparation à hauteur des mois prévus par le barème constitu[ait] une réparation du préjudice adéquate et appropriée à la situation d’espèce [et qu’] il n’y a[vait] pas lieu de déroger au barème réglementaire et de considérer ledit barème contraire aux conventions précitées » (CA Paris, Pôle 6, chambre 3, 18 sept. 2019, n°17/06676).
Notons enfin que récemment, deux demandes d’avis portant sur les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne ont été rejetées par la Cour de cassation.
La Haute Juridiction a en effet rappelé que les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne n’avaient pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, de sorte qu’il n’y avait pas lieu à avis (Demande d’avis n° V 19-70.014. Juridiction : le conseil de prud’hommes de Tours. Avis du 25 septembre 2019 n° 15015 P+B. ; demande d’avis n° W 19-70.015. Juridiction : le conseil de prud’hommes de Tours ; Avis du 25 septembre 2019 n° 15016 D+B).
Il nous faut désormais patienter jusqu’à ce que la chambre de la Cour de cassation se prononce au fond sur la conformité du barème. D’ici là, de nouvelles décisions de conseil de prud’hommes ou de cours d’appel devraient être rendues dans un sens ou dans un autre et continuer à alimenter le débat.