Bâches Heineken/Monnaie de Paris : commentaires sur l’arrêt de la Cour d’appel

Par Eric Andrieu

Heineken avait été condamnée en 2017 en première instance du fait de la diffusion de publicités représentant de manière relativement floue des images d’un pont d’Amsterdam et du Port de Rotterdam éclairés par des couleurs vives sous le slogan « Open your world », le tout étant présenté sur une bâche placée sur le bâtiment de la Monnaie de Paris à l’occasion des travaux de rénovation qui y étaient effectués.

 

 

Le Tribunal avait sanctionné l’usage de la bâche, le slogan « Open your world » et les visuels.

 

Saisie par Heineken, la Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 14 novembre 2019, confirme le jugement sur la bâche et le slogan mais l’infirme sur les visuels.

 

S’agissant de la bâche, la Cour refuse de suivre l’argumentation téléologique de Heineken et considère que la liste des supports autorisés prévue à l’article L.3323-2 du Code de la santé publique est exhaustive et ne peut autoriser le recours à des formes inusitées de publicité lors de l’intervention du législateur.

 

Elle en déduit que tel était le cas des bâches de chantier dont il semble pourtant résulter des débats que leur usage publicitaire s’est développé dans les années 80, la loi Evin datant, rappelons-le, de 1991.

 

Cette interprétation semble discutable, rien n’interdisant de considérer que les bâches peuvent être des affiches publicitaires, même si leur dimension est importante. Ceci est d’autant plus vrai que la bâche s’inscrivait dans le cadre de l’article L621-29-8 du Code du patrimoine qui évoque expressément l’affichage : « Par dérogation à l’article L. 581-2 du code de l’environnement, dans le cadre de l’instruction des demandes d’autorisation de travaux sur les immeubles classés ou des demandes d’accord de travaux sur les immeubles inscrits, l’autorité administrative chargée des monuments historiques peut autoriser l’installation de bâches d’échafaudage comportant un espace dédié à l’affichage. »

 

Sur le slogan, la Cour retient qu’il fait allusion, outre mesure, aux prétendues vertus désinhibitrices de l’alcool censées permettre au consommateur de s’ouvrir au monde l’environnant.

 

Il s’agit d’une interprétation sanctionnant le double sens de certains slogans allant dans le même sens que celle qui a entraîné la condamnation du slogan « Un Ricard. Des rencontres ».

 

Pour ce qui concerne les visuels, la Cour rappelle comme dans les affaires Grimbergen et Festival de Cannes certains principes essentiels :

 

« Que la publicité se définissant comme toute forme de communication faite dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou services, il ne saurait être retenu que la publicité pour l’alcool est illicite au seul motif qu’elle serait attractive ou qu’elle inciterait à l’achat ou à la consommation de boissons alcoolisées; que seule l’incitation à une consommation excessive contrevient à l’objectif de santé publique de lutte contre l’alcoolisme défini par le législateur. »

 

Puis que le contenu du message publicitaire « par nature ne saurait être purement informatif ».

 

Puis encore que « les mentions ne doivent être purement objectives que lorsqu’elles sont relatives à la couleur, aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit, ce qui laisse la place à l’imagination des concepteurs des messages publicitaires lorsque la communication porte sur d’autres éléments de communication tels que l’origine du produit. »

 

Au vu de ces principes, la Cour estime que des visuels représentant un pont d’Amsterdam ou le Port de Rotterdam évoquent l’origine de la bière Heineken au travers de sa ville de production et du point de départ de son exportation, ce qui est autorisé.

 

Si l’on peut déplorer l’analyse restrictive sur le recours à une bâche publicitaire, les raisonnements de principe retenus par la Cour sur la nature de la publicité ne peuvent qu’être approuvés.