1. L’article 3 de l’ordonnance du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires, prévoit notamment que les offres sur les prix ne peuvent excéder 34%.
Plus précisément : « I. Les dispositions du présent article s’appliquent aux avantages promotionnels, immédiats ou différés, ayant pour objet de réduire le prix de vente au consommateur de denrées alimentaires ou de produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie.
II. Les avantages promotionnels, le cas échéant, cumulés, mentionnés au I., accordés au consommateur pour un produit déterminé, ne sont pas supérieurs à 34% du prix de vente au consommateur ou à une augmentation de la quantité vendue équivalente… ».
2. On sait que ce texte résultant de la loi EGALim est considéré comme un moyen d’éviter que la grande distribution pratique des prix excessivement bas, ce qui serait au détriment des producteurs de denrées alimentaires.
Quelle que soit l’opportunité de cet objectif, il faut rappeler que le texte est sans doute contraire au droit européen, et particulièrement à la directive du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales.
Cette dernière interdit à un état membre d’adopter une réglementation relative à des pratiques commerciales (ce qui inclut les promotions) revenant à fixer de façon générale une interdiction ou des conditions restrictives, sauf lorsque les pratiques font partie des 31 à être réputées déloyales par la directive (elles ont été reprises dans le Code de la consommation aux articles L.121-4 et L.122-7 et ne concernent pas ce qui résulte de la loi EGALim).
Dès lors, la loi et l’ordonnance de 2018, en fixant des montants maximums autorisés pour les réductions de prix sur les denrées alimentaires, sont assez manifestement contraires au droit européen et ne devraient pas être applicables.
3. A supposer même que la loi et l’ordonnance ne soient pas contraires au droit européen, les lignes directrices qui viennent d’être publiées par la DGCCRF méritent un certain nombre de commentaires.
Il faut d’abord rappeler qu’il s’agit uniquement d’une interprétation de l’administration qui n’a aucune valeur juridique et qui ne s’impose pas aux tribunaux.
Dans le détail, la DGCCRF s’intéresse aux opérations de cagnottage. Elle indique que sont concernées par le maximum de 34% prévu par l’ordonnance les opérations de « cagnottage affecté[e]s à un produit ».
Elle précise qu’il s’agit des opérations où « l’achat d’un produit précis donne droit à l’obtention d’un montant déterminé et chiffré (cumulé sur une carte de fidélité ou faisant l’objet d’un bon de réduction) que le consommateur pourra utiliser ultérieurement, soit pour un achat, du même produit ou d’un produit différent, soit en déduction du montant total de ses achats, dans un établissement de la même enseigne. »
Cette interprétation va à l’encontre du texte de l’ordonnance.
Celui-ci rappelé ci-dessus est en effet limité aux avantages promotionnels « ayant pour effet de réduire le prix de vente au consommateur de denrées alimentaires ».
Quand bien même l’achat initial permettant le cagnottage porte sur une denrée alimentaire, celle-ci sera vendue à son prix annoncé et ne fera l’objet d’aucune réduction.
Il est possible que l’avantage obtenu par le consommateur ne soit jamais utilisé, qu’il le soit pour l’achat de denrées non alimentaires, voire pour l’achat d’un panier composé de produits de différentes catégories pour lesquels l’imputation de la réduction à un produit spécifique serait impossible.
Aucune des ces situations ne correspond à ce qui est interdit par l’ordonnance et l’interprétation de la DGCCRF semble donc erronée.
4. Elle prévoit d’ailleurs ensuite que pour les bons de réduction accordés par les fournisseurs sur un produit déterminé permettant de bénéficier d’une réduction différée pour l’achat d’un autre produit, la vérification du plafond en valeur de la promotion sera effectuée sur l’achat du deuxième produit.
Cette analyse est juste puisque c’est le deuxième produit dont le prix de vente au consommateur sera réduit.
On voit cependant que cette analyse est en contradiction avec celle prise pour le cagnottage dont le caractère contestable est ainsi renforcé par le document de l’administration lui-même. (Dans un cas il faudrait raisonner sur le premier produit et dans l’autre sur le deuxième).
5. Il est enfin indiqué que « l’offre d’un produit différent, y compris alimentaire, pour un ou plusieurs produits identiques achetés (vente avec prime), sous réserve que les deux produits liés ne puissent pas être considérés comme similaires » n’entre pas dans le champ de la réglementation.
A contrario, l’administration estime que si les produits concernés sont similaires, la réglementation sera applicable.
Elle donne l’exemple d’un foie gras entier et d’un bloc de foie gras ou de blancs de poulet et de cuisses de poulet qu’elle considère comme similaires.
Là encore, cette analyse va manifestement à l’encontre du texte.
Pour reprendre l’exemple de l’administration, si l’achat de blancs de poulet permet d’obtenir gratuitement des cuisses de poulet, les blancs auront été vendus à leur prix facial, c’est-à-dire sans réduction. Les cuisses seront offertes et par conséquent pas davantage vendues à un prix réduit.
L’infraction ne devrait donc pas être constituée.
Ceci est d’autant plus vrai que si le texte ne sanctionne que les « avantages promotionnels… ayant pour effet de réduire le prix de vente aux consommateurs de denrées alimentaires… », un projet antérieur visait « les avantages promotionnels, de toute nature, immédiats ou différés, portant sur la vente aux consommateurs de denrées alimentaires… ».
Dans cette rédaction, les pratiques visées par l’administration au titre des produits similaires auraient pu être sanctionnées. Ce texte n’ayant pas été adopté, elles ne peuvent l’être.