NFT nouvel OJNI* ?

Par Fabien Honorat

(*Objet Juridique Non Identifié)

 

Vous l’aurez remarqué, l’auteur de ces quelques lignes n’a pas pris la peine d’expliciter l’acronyme NFT dans le titre ci-dessus.

 

Il est vrai qu’il ne se passe pas une journée sans que les NFT ne fassent l’objet d’un article ou d’une communication : c’est le PDG de Twitter, Jack Dorsey, qui a mis en vente son premier tweet sous forme de NFT ; c’est la marque Coca Cola qui a fait un NFT à partir du son que fait une canette que l’on ouvre ; c’est la licorne française Sorare qui vend ses cartes virtuelles de sportifs sous format NFT ; c’est Quentin Tarantino qui se voit refuser la possibilité de monétiser des scènes coupées de Pulp Fiction en NFT par son ancien producteur Miramax ; c’est enfin le monde de l’art qui ne cesse de se toquer des NFT.

 

D’ailleurs le détail de l’acronyme NFT n’aurait sans doute pas été très éclairant pour ceux qui n’ont pas été touchés par ce phénomène : Non-fungible token (jeton non fongible), on n’avance pas beaucoup dans la vulgarisation.

 

Si l’on précise en plus que les NFT sont basés sur le principe de la blockchain, on fait l’intelligent mais on perd la moitié de ses lecteurs.

 

Schématiquement le NFT est un code informatique qui permet de garantir à un contenu numérique (quel qu’il soit) son caractère authentique, inviolable et unique.

 

Qu’est ce qu’un NFT ?

 

Essentiellement utilisé dans le domaine de l’art et de la création, la question a pu se poser de la qualification des NFT au regard de nos vieux articles du code de la propriété intellectuelle.

 

Sur le plan purement juridique, les NFT n’appartiennent à aucune catégorie des actifs immatériels présents dans le code de la propriété intellectuelle (œuvre originale, brevet, marque …).  S’agissant d’un dispositif qui fait l’objet d’un codage informatique, on aurait pu le classer dans la catégorie des logiciels. Toutefois le codage informatique d’un NFT (comme tout élément de blockchain) se fait de façon automatique (opération dite de minage) sans intervention humaine.

 

Or au sens des dispositions du code de la propriété intellectuelle, pour être protégé un logiciel (comme n’importe quelle création de l’esprit) doit être original c’est-à-dire refléter la personnalité de son créateur. Ce ne sera pas le cas ici.

 

Surtout le code de la propriété intellectuelle nous a appris à faire la distinction entre l’œuvre en tant que création intellectuelle et le support physique ou numérique qui porte cette œuvre. Ce n’est pas parce que je suis propriétaire d’un tableau ou d’un disque que je bénéfice d’un monopole d’exploitation sur l’œuvre concernée, ce monopole restant la propriété de l’auteur ou de ses ayants droits.

 

D’ailleurs le contenu authentifié via la technologie NFT peut très bien être quelque chose d’extrêmement banal et non protégeable (un tweet, un mot, un élément virtuel d’un jeu vidéo) ou au contraire être une œuvre de l’esprit protégeable au sens le plus classique.

 

Certains ont pu évoquer l’analogie avec un certificat d’authenticité numérique.

 

Dans le monde réel les certificats d’authenticité des œuvres sont en général le fait de tiers de confiance (ayants-droits de l’auteur, comité, fondation, expert …).

 

Cela peut être également le cas du NFT puisqu’à l’instar des certificats d’authenticité du monde réel, le NFT peut être émis par l’auteur lui-même ou ses ayants-droits, un comité, une fondation…. Donc il est exact qu’un NFT peut être assimilé à un certificat d’authenticité numérique.

 

Si cette formule a le mérite de la simplicité, elle ne couvre que partiellement la réalité de la nature exacte d’un NFT.

 

Il faut garder à l’esprit qu’un NFT n’est qu’une sorte de coffre-fort numérique qui garantit vis-à-vis des tiers la propriété de son contenu au titulaire du NFT (seul le propriétaire dispose de la clé privée de cryptage permettant « d’ouvrir » le NFT).

 

Comme pour un coffre-fort, c’est surtout le contenu qui importe.

 

D’ailleurs un NFT pourrait également contenir à la fois l’œuvre, son certificat d’authenticité mais également la cession des droits de l’auteur au propriétaire du NFT.

 

A l’opposé un NFT pourrait contenir une œuvre non authentique, une copie.

 

Donc un NFT a une nature juridique hybride : c’est une preuve électronique de propriété d’un contenu et à la fois un outil de sécurisation puisque seul le propriétaire du NFT à accès au contenu protégé par celui-ci.

 

En tant que preuve électronique le NFT répond parfaitement à la définition de l’article 1366 du Code Civil : « L’écrit électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité. »

 

Le NFT en tant que procédé de cryptage soulève juridiquement d’autres questions.

 

L’accès au contenu est de fait exclusivement réservé à son titulaire.

 

Toutefois un tribunal pourra toujours ordonner à ce titulaire de révéler le contenu du NFT si une telle demande est fondée juridiquement.

 

Si le contenu du NFT est une œuvre de l’esprit, cet outil de cryptage pourrait se heurter aux dispositions du code de la propriété intellectuelle concernant les mesures techniques de protection mises en place par les titulaires des droits pour empêcher la reproduction, l’exploitation des œuvres par des tiers non autorisés (articles L.331-5 et suivants). En principe de telles mesures ne peuvent avoir pour effet d’empêcher le public de faire usage de l’œuvre en question pour les usages autorisés par la loi (copie privée, courte citation, usage dans le cercle de famille, utilisation à des fins de recherche).

 

 

Qui peut créer un NFT ?

 

Techniquement tout le monde.

 

Toutefois la création d’un NFT à partir d’un quelconque contenu constitue un acte de disposition (et ce d’autant que la création du NFT va conférer au contenu en question une valeur potentiellement importante).

 

Il s’agit sans aucun doute d’un acte réservé aux titulaires légitimes des droits sur l’œuvre (ou la partie de l’œuvre) qui doit faire l’objet du NFT. Ainsi lorsque Quentin Tarantino se lance dans le projet de mettre sous NFT des scènes coupées de Pulp Fiction encore faut-il qu’il soit bien le titulaire exclusif des droits attachés aux contenus en question, ce que semble contester le producteur du film Miramax : https://www.melty.fr/tarantino-dans-la-tourmente-a-cause-des-nft-de-pulp-fiction-a778645.html

 

C’est également le cas de contenu qui ne serait pas des œuvres de l’esprit. Le droit de propriété implique le droit de jouir et donc de percevoir les fruits de l’exploitation de la chose dont on est propriétaire (fructus). La mise sous forme de NFT rentre sans doute dans cette catégorie.

 

De même les droits de la personnalité (image, nom) permettent à son titulaire de contrôler l’exploitation de ceux-ci. On peut difficilement imaginer un NFT créé à partir de l’image d’une personne sans que cette dernière n’ait donné son accord.

 

 

Quels sont les droits d’un propriétaire d’un NFT ?

 

Outre la possibilité d’être le seul à pouvoir avoir un accès au contenu de son NFT, ce qui fait l’intérêt de celui-ci pour son propriétaire est son caractère unique. C’est ce qui lui confère sa valeur.

 

On a tous appris ce principe économique selon lequel ce qui est rare est cher alors imaginez que ce qui est unique est potentiellement hors de prix. C’est ce que propose les NFT.

 

L’intérêt premier pour le créateur d’un NFT est de le proposer à la vente (aux enchères) via des places de marché virtuelles spécialisées, l’achat se faisant en cryptomonnaie exclusivement.

 

Mieux le créateur peut même mettre en place un système « royalty » lui permettant de percevoir un pourcentage sur chaque revente de son NFT.

 

C’est donc un outil qui correspond parfaitement au modèle économique du marché de l’art, des collections ou du merchandising.

 

Il reste qu’à ce stade ces transactions échappent aux administrations fiscales des états et qu’il est à peu près certain que la réglementation va rattraper ce phénomène dans un futur proche.

 

 

Pour toute information, contactez Fabien Honorat (honorat@pechenard.com)