Eric Andrieu a été invité à rédiger l’entrée Codes du Dictionnaire du monde judiciaire publié dans la collection Bouquins. Nous diffusons ici le texte définitif, celui publié dans l’ouvrage ne tenant pas compte des corrections adressées à l’éditeur. Compte tenu de la nature du projet il s’agit d’un texte de (très) libre interprétation. Bonne lecture !
Les codes : une histoire générale
« Les codes sont la paresse de la loi » (Doyen Perrichon)
Elle est un peu triste l’évolution de ces enfants de la Convention et de Napoléon.
Le vent de l’histoire soufflait dans la bonne direction. On s’en souvient.
Au commencement était le verbe – et partant la pagaille. La loi du talion, déjà un progrès, puis le duel judiciaire. (Soit dit en passant une très mauvaise institution pour les avocats).
La France, pays de coutumes au Nord, pays de droit écrit au Sud. Pays de querelles, pays de divisions.
Une tentative modeste – pour une fois – de Louis XIV de codification des règles de procédure.
On évoquera sans fierté excessive le Code noir mais il ne s’agissait pas d’un code à proprement parler, davantage d’un regroupement de textes organisé par certains éditeurs.
Vient la Convention qui décrète l’unité de codes et déclare, selon le mot d’Hugo : « la morale universelle base de la société et la conscience universelle base de la loi. » Principes qu’il n’est peut-être pas inutile de rappeler.
Son œuvre aboutira sous Napoléon avec la création du Code civil (1804), du Code de procédure civile (1806), du Code de commerce (1807), du Code d’instruction criminelle (1808) et du Code pénal (1810).
L’essentiel était écrit.
Le temps qui sait que la loi n’est pas affaire d’actualité ou d’opportunisme apportera, lentement, quelques compléments sans doute nécessaires.
Le XIXème siècle ne verra principalement adoptés qu’un Code forestier, des Codes de justice militaire et un Code rural.
Au début du XXème siècle, le Code du travail ainsi qu’un Code disciplinaire et pénal de la marine marchande.
A partir des années 1950, quelques codes, notamment le Code général des impôts.
Et puis, soudain, c’est l’inflation.
On crée en 1989 (pied de nez que l’on espère involontaire à la Révolution) une Commission Supérieure de Codification qui vise à la simplification – ce qui relève à la fois de l’utopie administrative et de l’oxymore.
Et on simplifie. On simplifie tellement que depuis 1990, ce sont près de 30 codes qui seront créés.
Evolution en cours. Ne vous pressez pas, il y en aura pour tout le monde.
Apparaissent ou renaissent ainsi un Code des juridictions financières, un Code rural et de la pêche maritime, un Code général des collectivités territoriales, un Code monétaire et financier, un Code du cinéma et de l’image animée ou encore – et pourquoi pas – un Code disciplinaire et pénal de la marine marchande.
Bien entendu, le justiciable, bénéficiaire théorique de cette simplification, s’y perd lamentablement, ignorant jusqu’à l’existence de ces outils généreusement mis à sa disposition. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir une belle-mère amoureuse pour tenter de le sortir d’un labyrinthe.
Les professionnels eux-mêmes – ayons l’honnêteté de le reconnaître – peinent à s’y retrouver et c’est le plus souvent au détour de l’article d’un spéléologue de la recherche qu’ils apprennent qu’ont été créés un Code général de la propriété des personnes publiques, un Code des relations entre le public et l’administration, ou presque aussi essentiel, un Code des pensions de retraite des marins français du commerce, de pêche ou de plaisance.
Bien entendu, la multiplication des codes n’est qu’un aspect de la multiplication des lois que chaque gouvernement condamne avant d’y apporter, comme ses prédécesseurs, son écot.
Mais si l’on y ajoute les modifications apportées aux articles déjà publiés, les textes augmentés, les changements de numérotation au sein d’un même code, voire les découpes de codes lorsqu’ils sont devenus trop manifestement volumineux – Il en va des codes comme de la santé publique, on prétend lutter contre l’obésité, mais on travaille dans la demi-mesure sinon dans l’hypocrisie – on comprend que cette simplification soit à peu près aussi efficace que le fût la Nouvelle Economie Politique et que les excellents principes mis en œuvre à la fin du XVIIIème siècle ne soient plus finalement… qu’un principe.
Les codes : une histoire personnelle
« Les codes sont la béquille du juriste » (Bâtonnier Fadinard)
Il est difficile, lorsqu’on est avocat, de ne pas avoir un rapport particulier avec les codes.
On connaît bien quelques confrères qui ont réussi à s’en passer, mais la jalousie ne suffit pas à vaincre la répugnance qu’on aurait à les dénoncer.
Les lecteurs parvenus à ce point auront compris que les codes utilisés par l’auteur sont peu nombreux au regard de l’offre pléthorique qui lui est aujourd’hui proposée.
Ils ont pu grâce à cela conserver leur place sur un bureau meublé avec sobriété.
Non sans risque il est vrai puisqu’en plus de codifier, de modifier, de réécrire, de renuméroter, de gonfler, on a évidemment dématérialisé.
Tentation forte dès lors de s’en remettre à son ordinateur et à l’épatant site Légifrance qui les rassemble tous (avec en prime les lois, les textes réglementaires et la jurisprudence) et qui permet de les tenir à jour en permanence – ce qui remplace le doute charmant de l’aléa par une certitude probablement réconfortante pour nos clients.
Mais les efforts numériques des éditeurs aidant, le choix a été fait de la fidélité. Fidélité rassurante même si elle tient peut-être en partie du fétichisme. On a croisé des avocats qui ne pouvaient s’empêcher de voir un code flotter dans le grand Bleu III de Miro ou attirer l’attention dans un carré rouge de Malevitch. Sans toujours atteindre à ce degré d’obsession sans doute un peu excessif, cette fidélité relève plus souvent et plus prosaïquement d’une habitude un peu paresseuse et donc rassurante.
Et tient à l’espoir d’une certaine efficacité car après toutes ces années, après toutes ces consultations, après toutes ces plaidoiries, on se surprend encore à chercher – ou au moins à vérifier – des articles dans ses codes préférés.
Ce qui, on peut le craindre, ne s’améliorera pas avec le temps.
Défaut peut-être de l’artisan qui ainsi reproduit les gestes qui très tôt lui ont été enseignés. Le texte, toujours partir du texte.
Défaut sans doute d’une conscience un peu hypertrophiée.
Défaut évidemment de l’orgueil qui supporterait mal que se remarque un mauvais choix d’article ou une citation erronée.
Défauts donc mais que l’on essaiera de justifier par quelques souvenirs.
Souvenirs de ces objets mystérieux découverts par les étudiants en droit qui pouvaient légitimement les trouver plus austères que les livres scolaires auxquels ils avaient jusque-là été habitués. Et qui les consultaient d’autant plus qu’ils n’avaient à l’époque pas le droit de les utiliser pendant leurs examens. Ce qui pouvait générer une envie – fort heureusement réfrénée – d’inventer des citations qui auraient pu soutenir leurs argumentations chancelantes.
Dire qu’ils avaient un caractère licencieux serait excessif mais ils pouvaient avoir un caractère sulfureux pour certains qui en cette période post-soixante-huitarde voyaient dans leur apparence une ressemblance frappante avec un autre petit livre rouge. L’honnêteté oblige à rebours de notre fibre révolutionnaire à reconnaître avec le recul que la parenté était assez éloignée et que la lecture comparée des citations du grand timonier et du Code civil est assez favorable au second, qu’il s’agisse de style ou de clarté. Et nous laisserons l’idéologie de côté.
Souvenirs de nos premiers bureaux, furieusement XXème siècle – davantage tendance XIXème que XXIème – où de petits mais élégants meubles tournants étaient parsemés entre quelques auteurs classiques (Racine ou Labiche davantage que Carbonnier) de ces taches rouges qui suffisaient à contenir le savoir alors nécessaire.
Souvenirs des bibliothèques qui, les plus jeunes en souriront, n’étaient pas encore numérisées et où, sans Internet et sans téléphone mobile, les avocats stagiaires allaient courageusement jusqu’au Palais effectuer leurs recherches. Et le plus surprenant est qu’elles aboutissaient parfois.
Souvenirs professionnels et souvenirs artistiques. Par exemple, l’omniprésence des codes au sein de la chambre reconstituée du collectionneur dans l’exposition proposée à la Maison Européenne de la Photographie par Bernard Lamarche-Vadel sous le titre qu’il n’est pas mauvais de livrer aux juristes (on exclura par respect de l’auteur les huissiers de justice) : « Comment jouer enfermement ? ».
Par un hasard parfaitement bien venu, alors que je réalise la pauvreté de mes aventures avec des codes, je reçois une publicité – dématérialisée elle aussi – pour les codes d’un excellent éditeur qui propose : « Cette année, osez la couleur ! Choisissez votre code avec sa jaquette amovible. » Sont montrés des codes recouverts dans des tons pastels d’élégants motifs de flamands roses ou d’ananas, tandis que le juriste internaute est invité à oser, à se désinhiber, en cliquant sur un bouton montrant l’impulsion irrésistible à laquelle il cèdera : « Je le veux ! ».
C’est très émouvant mais peut-être un peu triste, l’illusion de ce rapport unique et quasi charnel avec nos codes.
D’abord par la disparition de ce fétichisme envers ces objets rouges ou bleus, dont la force tenait en grande partie à leur intangible répétition que l’on espérait éternelle.
Ensuite parce qu’il s’agit de l’un des paradoxes de notre temps : nous faire croire que nous pouvons bénéficier de produits ou services personnalisés alors que nos relations tendent au contraire à la dé-personnalisation. Soyons lucides, nous n’avons plus de contact qu’avec des machines. Ou ce qui est peut-être pire, avec des personnes formatées pour ressembler à des machines, sans l’autonomie que le machine-learning donnera demain à nos interlocuteurs non humains.
Mais que les codes soient un reflet de notre époque, c’est malgré tout, et quoi que l’on pense de celle-ci, une bonne nouvelle.
Ils ont traversé les siècles, ils ont accompagné et aidé des générations, ils ont résisté aux critiques (même lorsqu’elles étaient moins tendres que celles de cette chronique) et ils sont toujours là, forts, solides, nécessaires et sans paradoxe cette fois, résolument tournés vers l’avenir.