Le coup de tonnerre occasionné par la reddition de la Cour de cassation de faire application du droit interne au profit du droit de l’Union Européenne, engendrant par là-même de nombreuses incertitudes, au grand dam des entreprises, arrive son terme.
En effet, le Parlement français s’est empressé de se saisir de ce sujet et sans que le Conseil Constitutionnel n’ait été saisi préalablement, un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne a définitivement été adopté le 10 avril dernier à l’issue de la navette parlementaire et le texte définitif[1] a été publié au Journal Officiel le 23 avril dernier.
En substance, l’arrêt de travail occasionné par un accident ou une maladie non professionnel(le) sera désormais assimilé à du travail effectif ouvrant droit à l’acquisition de congés payés.
Il en est de même de la période de suspension du contrat de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle (AT/MP) même au-delà de 12 mois ininterrompus (cette limite disparait avec la loi nouvelle).
Pour autant, le nombre de jours de congés payés acquis ne sera pas de 2,5 jours ouvrables par mois comme c’est habituellement le cas (notamment en cas d’arrêt faisant suite à un(e) AT/MP), mais de 2 jours ouvrables par mois seulement.
De surcroît, le Législateur pose une limite de 4 semaines (soit 24 jours ouvrables) de congés payés acquis sur la période de référence retenue par l’entreprise dans le cadre d’un arrêt pour accident ou maladie non professionnel(le). Cette règle dérogatoire est inscrite au nouvel article L. 3141-5-1 du Code du travail.
À ce sujet, le Conseil constitutionnel a rendu une décision dans laquelle les Sages confirment qu’il n’apparait pas de différence de traitement contraire au principe constitutionnel d’égalité (Décision nº 2023-1079 QPC du 8 février 2024).
À noter que cette nouvelle règle d’acquisition de congés payés sera également applicable aux travailleurs intérimaires.
Par ailleurs, la loi du 22 avril dernier a créé trois nouveaux articles insérés au Code du travail et encadrant la prise des congés payés acquis au cours d’une période pour accident ou maladie non-professionnel(le).
Tout d’abord, le nouvel article L. 3141-19-3 du Code du travail instaure une nouvelle obligation d‘information à l’employeur :
« Au terme d’une période d’arrêt de travail pour cause de maladie ou d’accident, l’employeur porte à la connaissance du salarié, dans le mois qui suit la reprise du travail, les informations suivantes, par tout moyen conférant date certaine à leur réception, notamment au moyen du bulletin de paie :
1° Le nombre de jours de congé dont il dispose ;
2° La date jusqu’à laquelle ces jours de congé peuvent être pris ».
Le législateur a par ailleurs encadré la durée au cours de laquelle le salarié placé dans l’impossibilité de prendre ses congés payés en raison d’un arrêt pour accident ou maladie peut reporter la prise des congés acquis. Ici, peu importe que cet arrêt revête un caractère professionnel.
Ainsi, le nouvel article L. 3141-19-1 du Code du travail fixe une période de 15 mois partant de la diligence de l’employeur évoquée plus haut, sauf accord collectif plus favorable.
Exception toutefois pour les salariés en arrêt depuis au moins un an. Le nouvel article L. 3141-19-2 du Code du travail prévoit un autre point de départ :
« La période de report débute à la date à laquelle s’achève la période de référence au titre de laquelle ces congés ont été acquis si, à cette date, le contrat de travail est suspendu depuis au moins un an en raison de la maladie ou de l’accident.
Dans ce cas, lors de la reprise du travail, la période de report, si elle n’a pas expiré, est suspendue jusqu’à ce que le salarié ait reçu les informations prévues à l’article L. 3141-19-3 ».
Ces nouvelles règles sont rétroactives au 1ᵉʳ décembre 2009, dans la limite toutefois de 24 jours ouvrables par période de référence.
Enfin, le Législateur a entendu limiter dans le temps les recours contentieux portant sur les rappels de salaire au titre de l’acquisition de ces congés payés en prévoyant un délai de forclusion de 2 ans à compter de l’entrée en vigueur de ladite loi, soit à compter du 23 avril 2024. Pour les salariés dont le contrat de travail était déjà rompu à cette date, ce n’est pas ce nouveau délai, mais bien le délai de prescription triennale posé par l’article L. 3245-1 du Code du travail qui continuera à s’appliquer en matière de paiement de salaire.
La réponse apportée par le pouvoir législatif français semble circonscrire l’ensemble des effets provoqués par l’application du droit communautaire au détriment du droit interne, en apportant des réponses permettant aux entreprises de mieux appréhender les risques contentieux et de réduire autant que faire se peut les impacts sur la trésorerie.
Une question se pose : dans quelle mesure la responsabilité de l’Etat pourrait-elle être engagée en ce qu’il a constamment refusé depuis près de 15 ans de se conformer au droit européen, qui, on le sait, assoit une autorité supérieure à celle des droits locaux, ayant eu pour conséquence de désorganiser la gestion financière des entreprises implantées sur son territoire, notamment les TPE/PME ? Devra-t-il rendre des comptes ?
Quant aux employeurs, ils doivent plus que jamais se préparer à répondre à des revendications de salariés en poste ou déjà partis, voire à des actions prud’homales tendant à obtenir une régularisation dans les proportions précitées et dans la limite des règles de prescription. Si certaines entreprises ont déjà sauté le pas de la gestion des congés payés depuis les arrêts de principe du 13 septembre 2023, d’autres vont devoir procéder aux changements utiles en matière RH et en paie.
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Le Département Social du cabinet Péchenard & Associés répond à toutes vos questions sur l’acquisition des congés payés pendant un arrêt maladie et se tient à votre disposition pour échanger tant au titre de son activité de conseil que dans le cadre de contentieux en cours ou à venir.
Pour toute information, contactez Julie De Oliveira (deoliveira@pechenard.com).
[1] Loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole