AT/MP : principe du contradictoire et instruction de la caisse suite à un malaise cardiaque mortel d’un intérimaire survenu aux temps et lieu du travail

Par Julie De Oliveira et Charlotte Blanc Laussel

En vertu de l’article R.441-11 du code de la sécurité sociale, tel qu’en vigueur entre le 1er janvier 2010 et le 1er décembre 2019[1], en cas de réserves motivées de la part de l’employeur ou si elle l’estime nécessaire, la caisse primaire d’assurance maladie envoie avant décision à l’employeur et à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l’accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés. Une enquête est obligatoire en cas de décès.

 

Depuis le 1er décembre 2019, l’article R.441-8 du Code de la sécurité sociale prévoit qu’ « en cas de décès de la victime, la caisse procède obligatoirement à une enquête, sans adresser de questionnaire préalable ».

 

Dans un arrêt rendu le 16 mai 2024 (n° 22-14.675), la Cour de cassation rappelle que la caisse primaire d’assurance maladie qui, en raison du décès d’un salarié intérimaire, doit procéder à une mesure d’instruction obligatoire en recueillant des renseignements auprès de l’entreprise utilisatrice, doit agir de façon identique auprès de l’employeur de la victime, l’entreprise de travail temporaire, à peine d’inopposabilité de sa décision de prise en charge de l’accident du travail litigieux.

 

Dans cette affaire, un salarié embauché par une entreprise de travail temporaire en qualité d’ouvrier du bâtiment et mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice, a été retrouvé décédé, aux temps et lieu de travail, dans les sanitaires du chantier sur lequel il intervenait.

 

L’employeur juridique, soit l’entreprise de travail temporaire, a immédiatement émis des réserves motivées s’agissant de l’absence de lien de causalité entre la survenance d’un malaise cardiaque et le travail de la victime, et a sollicité à cette occasion la mise en œuvre d’une autopsie auprès de l’organisme social, afin de connaître les causes de ce malaise.

 

En effet, la présomption d’imputabilité au travail d’un malaise mortel survenu au temps et au lieu du travail, fondée sur l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale, est une présomption simple et non irréfragable, que l’employeur peut renverser en apportant la preuve que l’accident a une cause totalement étrangère au travail[2].

 

Si l’employeur parvient à prouver que la lésion à l’origine du malaise subi par la victime n’est autre que la manifestation spontanée d’un état pathologique préexistant, et n’a donc pas pu être provoquée par les conditions de travail le jour des faits, le décès du salarié ne peut alors être imputé au travail[3].

 

A noter toutefois qu’il a déjà été jugé que l’existence de symptômes préalables au malaise cardiaque, pendant le trajet entre le domicile et le lieu de travail, n’est pas de nature à caractériser un accident de trajet, dès lors que le malaise a eu lieu au temps et au lieu de travail sous l’autorité hiérarchique de l’employeur, nonobstant le fait que le salarié ait simplement pointé à son arrivée sur le site en se dirigeant immédiatement vers la salle de pause, sans se rendre à son poste de travail[4].

 

Dans le cas d’espèce commenté, la caisse ayant refusé d’accéder à cette demande d’autopsie, l’entreprise de travail temporaire a saisi en référé le Président du tribunal judiciaire qui, par ordonnance, y a fait droit.

 

Pour rappel, la réalisation d’une autopsie n’est pas obligatoire et l’absence d’autopsie n’est pas à elle seule de nature à faire obstacle à l’application de la présomption d’imputabilité prévue à l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale[5].

 

Il s’agit d’une simple faculté mise à la disposition de la caisse, en l’absence de demande des ayants droit de la victime. Toutefois, en vertu de l’article L.442-4 du code de la sécurité sociale, si les ayants droit de la victime le sollicitent ou avec leur accord si elle l’estime elle-même utile à la manifestation de la vérité, la caisse doit demander au tribunal judiciaire dans le ressort duquel l’accident s’est produit de faire procéder à une autopsie dans les conditions prévues aux articles 232 et suivants du code de procédure civile. Si les ayants droit de la victime s’opposent à ce qu’il soit procédé à l’autopsie demandée par la caisse, ils ne bénéficient alors plus de la présomption d’imputabilité, et il leur incombe d’apporter la preuve du lien de causalité entre l’accident et le décès[6].

 

En l’espèce, le rapport d’autopsie établi en suite de la demande de l’employeur a fait état de ce que la première hypothèse de cause du malaise survenu aux temps et lieu de travail était celle d’une mort subite d’origine cardiaque dans un contexte d’atteinte coronaire athéromateuse mais a relevé qu’il était également important de pouvoir connaître précisément les circonstances du décès ainsi que l’état de santé antérieur du défunt.

 

Parallèlement, sur le plan administratif, la caisse a poursuivi son instruction en informant l’entreprise de travail temporaire de la mise en œuvre d’un délai complémentaire d’instruction, puis ultérieurement de la fin de l’instruction et de sa possibilité de prendre connaissance des pièces du dossier, préalablement à la prise de décision sur le caractère professionnel du décès de son salarié, sans toutefois lui avoir adressé de questionnaire dans l’intervalle.

 

La caisse a finalement pris en charge le malaise cardiaque mortel du salarié au titre de la législation professionnelle.

 

Contestant l’imputabilité de ce malaise cardiaque au travail, la société de travail temporaire a alors saisi la Commission Médicale de Recours Amiable (CMRA) d’un recours en inopposabilité de la décision de prise en charge de la caisse, puis le pôle social du tribunal judiciaire de Limoges.

 

A l’appui de son recours en inopposabilité, l’entreprise de travail temporaire a fait valoir notamment le fait que la caisse primaire d’assurance maladie avait initié une enquête, sans lui adresser de questionnaire, alors même qu’elle avait la qualité d’employeur juridique du salarié décédé.

 

En substance, l’entreprise de travail temporaire reprochait à la caisse d’avoir mené son instruction uniquement à l’égard de l’entreprise utilisatrice et non à son égard, en qualité d’employeur.

 

Pour débouter l’entreprise de travail temporaire de son action en inopposabilité en cause d’appel, la Cour d’appel de Nancy[7] a jugé que la caisse avait respecté le principe du contradictoire dans le cadre de la procédure d’instruction, au motif qu’elle avait recueilli les observations de l’épouse du salarié décédé et celles de l’entreprise utilisatrice au sein de laquelle il avait été mis à disposition. Selon elle, l’enquête ainsi diligentée lui avait permis de réunir des éléments d’information complets et pertinents, donc suffisants, avant sa prise de décision sur le caractère professionnel du malaise cardiaque mortel, sans qu’il soit nécessaire d’adresser un questionnaire à l’entreprise de travail temporaire, retenant que seule l’entreprise utilisatrice pouvait expliquer les circonstances accidentelles de l’évènement survenu dans ses locaux.

 

Saisie d’un pourvoi formé par l’entreprise de travail temporaire, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt attaqué de la Cour d’appel de Nancy, en jugeant que la juridiction d’appel a violé les dispositions de l’article R.441-11, III, du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige, en estimant que le principe du contradictoire a été respecté à l’égard de l’employeur, alors même qu’elle a constaté que l’entreprise de travail temporaire n’avait pas été destinataire d’un questionnaire lors de l’instruction diligentée par l’organisme social.

 

En substance, la Cour de cassation reproche à la caisse d’avoir adressé un questionnaire à toutes les parties présentes au litige, sauf à l’entreprise de travail temporaire qui revêtait pourtant la qualité d’employeur juridique au moment des faits.

 

La Cour de cassation en déduit logiquement que la décision de prise en charge du décès du salarié intérimaire est inopposable à l’entreprise de travail temporaire, du fait de ce non-respect du principe du contradictoire.

 

A noter qu’il s’agit ici d’une position réaffirmée de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation puisque cette dernière a eu l’occasion, dans un arrêt inédit rendu le 9 mai 2018[8], d’adopter une position identique, également au visa de l’article R.441-11, III du code de la sécurité sociale.

 

Dans cette dernière affaire, la Cour de cassation a validé le raisonnement d’une juridiction d’appel ayant retenu qu’une décision de prise en charge d’un accident du travail mortel devait être déclarée inopposable à l’employeur après avoir relevé que la caisse, qui, en raison du décès du salarié, avait procédé à la mesure d’instruction obligatoire en recueillant des renseignements auprès de l’entreprise utilisatrice, n’avait cependant pas procédé de façon identique auprès de l’employeur de la victime qu’est l’entreprise de travail temporaire, de sorte que l’organisme social avait manqué au respect du principe du contradictoire à l’égard de l’employeur.

 

Dès lors, en matière d’accident du travail et de maladie professionnelle, la caisse doit respecter le parallélisme des formes lors de la phase d’instruction de l’évènement déclaré, en adressant un questionnaire à l’ensemble des parties, y compris à l’entreprise de travail temporaire, nonobstant le fait qu’elle estimerait que seule l’entreprise utilisatrice est susceptible d’apporter des précisions sur les faits qui se sont déroulés dans ses propres locaux.

 

Cette solution est bienvenue et souhaitable puisqu’il apparaît que l’entreprise de travail temporaire, en sa qualité d’employeur juridique et donc d’interlocuteur privilégié du salarié intérimaire, peut éventuellement communiquer des informations capitales à la caisse lors de l’enquête administrative, notamment s’agissant de potentiels antécédents médicaux de la victime qui pourraient révéler l’existence d’un état pathologique antérieur, et ainsi interroger sur l’imputabilité du malaise mortel à l’existence d’une cause totalement étrangère au travail.

 

De plus, l’entreprise de travail temporaire peut apporter des précisions complémentaires à la caisse sur la chronologie des faits à l’origine d’un malaise mortel, notamment lorsque le salarié lui a fait part le matin même de son malaise et avant sa prise de poste, de douleurs ou de gêne survenus en dehors du temps et du lieu de travail.

 

Cass., 2ème civ., 16 mai 2024, n° 22-14.675

 

 

[1] Décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009 relatif à la procédure d’instruction des déclarations d’accidents du travail et maladies professionnelles

[2] [QPC] Cass., 2ème civ. 2 février 2023, n°22-18.768

[3] Cass., 2ème civ., 20 septembre 2018, n°17-21.762

[4] Cass., 2ème civ., 28 mai 2019, n°18-16.183

[5] Cass., 2ème civ., 8 janvier 2009, n°07-20.911

[6] Cass., 2ème civ., 14 décembre 2004, n°02-31.042

[7] CA Nancy, 9 février 2022, RG n°21/01434

[8] Cass. 2ème civ., 9 mai 2018, n°17-16.947

 

 

***

 

 

Le Département Social du cabinet Péchenard & Associés répond à toutes vos questions sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et se tient à votre disposition pour échanger tant au titre de son activité de conseil que dans le cadre de contentieux en cours ou à venir.

 

 

Pour toute information, contactez Julie De Oliveira (deoliveira@pechenard.com) ou Charlotte Blanc Laussel (blanclaussel@pechenard.com).