Dans une décision du 14 février 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que les enregistrements issus d’un dispositif de vidéosurveillance illicite étaient recevables et de nature à établir le licenciement pour faute grave du salarié (Cass. soc. 14 février 2024 n°22-23073).
Depuis le 25 novembre 2020, la preuve obtenue de manière illicite n’est plus automatiquement écartée des débats : la chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi consacré, en matière civile, un droit à la preuve permettant de déclarer recevable une preuve illicite si sa production est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et si l’atteinte portée est strictement proportionnée au but poursuivi (Cass. soc. 25 novembre 2020, n° 17-19.523).
Ce régime est également applicable à la preuve obtenue de manière déloyale depuis l’arrêt rendu par l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 22 décembre 2023 (Cass ass. plen. 22 décembre 2023, n° 20-20.648).
Il est donc admis qu’une partie puisse, sous certaines conditions strictes, utiliser une preuve obtenue de manière illicite ou déloyale afin de faire valoir ses droits en justice.
La décision du 14 février 2024 est une parfaite illustration du principe de recevabilité de la preuve illicite.
Dans cette affaire, une salariée occupant le poste de caissière au sein d’une pharmacie, dotée d’un dispositif de vidéosurveillance destiné à la protection des personnes et des biens, a été licenciée pour faute grave à la suite de la découverte d’importants écarts de stocks dont elle était à l’origine.
C’est à l’occasion d’un inventaire que la direction s’est rendue compte de l’existence d’importants écarts de stocks injustifiés. Pensant qu’il s’agissait de vols par les clients de la pharmacie, l’employeur avait décidé de visionner les images du système de vidéosurveillance.
Le visionnage des enregistrements a permis d’écarter l’hypothèse du vol par les clients mais a révélé que la responsable des écarts de stocks était une des salariées de la pharmacie.
Face à ce constat, l’employeur a décidé de suivre les produits lors de leur passage en caisse et de croiser les séquences vidéo sur lesquelles apparaissaient les ventes de la journée avec les relevés des journaux informatiques de vente à la caisse de la salariée concernée, sur une période de deux semaines. Ces investigations ont mis en lumière pas moins de 19 anomalies. L’employeur a alors licencié pour faute grave la salariée impliquée en se prévalant des enregistrements issus du dispositif de vidéosurveillance.
La salariée a saisi la juridiction prud’homale afin de contester son licenciement et d’obtenir le paiement de diverses sommes à titre d’indemnités de rupture, outre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La salariée soutenait que les extractions d’un dispositif de vidéosurveillance destiné à l’origine à la protection des personnes et des biens, sur lequel son licenciement était fondé, constituaient un mode de preuve irrecevable en raison de leur illicéité. L’illicéité résultait, selon la salariée, de l’absence d’information du CSE et du personnel préalablement à la mise en place du dispositif de vidéosurveillance et du fait que ce dispositif pouvait servir non seulement à contrôler les clients mais également le personnel au travail.
Déboutée de ses demandes par le Conseil de prud’hommes, la salariée avait relevé appel de la décision. La Cour d’appel ayant confirmé la décision des premiers juges, elle s’était pourvue en cassation une première fois.
La Cour de cassation a retenu l’illicéité de la preuve issue des enregistrements de vidéosurveillance et a renvoyé l’affaire devant une cour d’appel afin qu’elle se prononce sur le contrôle de proportionnalité requis par la jurisprudence.
La Cour d’appel de renvoi a jugé recevable ce mode de preuve illicite considérant que la production des données personnelles issues du système de vidéosurveillance était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et proportionnée au but poursuivi. La salariée avait alors formé un nouveau pourvoi en cassation contestant l’analyse de la Cour d’appel de renvoi. La Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de renvoi.
Cette décision du 14 février 2024 est l’occasion d’évoquer les modalités du contrôle de proportionnalité opéré par le juge en cas de production d’enregistrements issus d’un dispositif de vidéosurveillance considérés comme une preuve illicite (i) et les précautions à prendre si l’on veut se prévaloir de ce mode de preuve pour justifier le bien-fondé d’un licenciement (ii).
(i) Les modalités de contrôle de la recevabilité de l’utilisation du dispositif de vidéo-surveillance
L’arrêt commenté rappelle que la méthodologie employée par le juge saisi de la recevabilité d’une preuve illicite répond à des conditions strictes puisqu’il doit :
« Lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi » (Cass. soc. 14 février 2024 n°22-23073).
En d’autres termes, la Cour de cassation reconnait à l’employeur le droit de produire les images et enregistrements issus du dispositif de vidéosurveillance considéré comme un mode de preuve illicite aux conditions cumulatives suivantes :
- Le recours aux images et enregistrements issus du dispositif de vidéosurveillance doit être légitime, c’est-à-dire justifié par les circonstances ;
- Le recours à ces images et enregistrements doit constituer le seul moyen permettant de démontrer le caractère fondé du licenciement du salarié ;
- Les images et enregistrements doivent être conservés pour une durée limitée et ne doivent être visionnées que par le seul dirigeant de l’entreprise ;
- L’atteinte à la vie privée du salarié résultant de leur utilisation doit être strictement proportionnée au but poursuivi.
(ii) Les précautions à prendre en cas de recours aux extractions d’un dispositif de vidéosurveillance
L’employeur doit faire preuve de vigilance dans l’utilisation des images ou enregistrements issus d’un dispositif de vidéosurveillance destiné à la protection des personnes et des biens comme preuve d’un fait fautif à l’origine du licenciement d’un salarié.
Ce mode de preuve, bien que recevable en dépit de son illicéité, ne doit pas être détourné de sa finalité et devenir un moyen de contrôle des salariés.
L’utilisation de la vidéosurveillance doit être le seul moyen permettant de matérialiser les faits fautifs à l’origine du licenciement et l’atteinte à la vie personnelle du salarié qui en découle doit être aussi limitée que possible.
En conséquence, préalablement à la mise en place d’une procédure de licenciement, il est primordial pour l’employeur de faire le point sur les éléments en sa possession permettant d’établir les manquements du salarié et ainsi justifier le licenciement.
Si d’autres éléments de preuve licites permettent de démontrer les griefs invoqués et de fonder la rupture du contrat, il convient de les utiliser et de renoncer à la production d’images ou enregistrements issus d’un dispositif de vidéosurveillance considéré comme illicite. Autrement, le juge, dans le cadre de son contrôle de proportionnalité, pourrait écarter des débats le mode de preuve illicite et juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
L’utilisation et la production d’images ou d’enregistrements issus d’un dispositif de vidéosurveillance considéré comme un mode de preuve illicite, au soutien d’un licenciement par exemple dans le cadre d’une procédure contentieuse, doivent donc rester exceptionnelles.
(Cass soc 14 février 2024 n°22-23073)
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