Absence de signature du salarié : petit oubli, grandes conséquences

Par Julie De Oliveira et Alexandre Majorel

Le 14 novembre 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un arrêt remarqué concernant la valeur probatoire d’un document relatif à la relation de travail en l’absence de la signature du salarié, en en précisant les conséquences au regard de la prescription (Cass, Soc. 14 novembre, n°21-22.540).

 

Dans cette affaire, un salarié contestait la validité de son solde de tout compte, dans la mesure où il n’avait pas pu signer le reçu y afférent. En effet, le salarié était alors incarcéré, raison pour laquelle d’ailleurs il avait été licencié pour motif disciplinaire.

 

La Cour de cassation a alors donné raison au salarié, considérant que :

 

« Le solde de tout compte non signé par le salarié, qui n’a pas valeur de preuve du paiement des sommes qui y sont mentionnées, n’a aucun effet sur le délai de prescription qui ne court pas ou n’est suspendu qu’en cas d’impossibilité d’agir à la suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ».

 

La Haute Juridiction appuie la motivation de son arrêt au visa des articles L.1234-20 et L.1471-1 du Code du travail, qui posent explicitement un délai de 6 mois pour dénoncer le solde de tout compte à compter de la signature de celui-ci.

 

La signature manuscrite du solde de tout compte par le salarié est un préalable probatoire requis de longue date par la Cour de cassation.

 

La jurisprudence considère depuis plus de vingt ans que le solde de tout compte ne peut être rendu opposable par l’employeur à son salarié si ce dernier n’y a pas apposé la mention « pour solde de tout compte » préalablement à sa signature (Cass, Soc. 24 novembre 1993, Cah. prud’h. 1994, n°4, p. 71 ; 9 mai 1978, Bull. civ. V, n° 334).

                                                                                            

Par l’arrêt commenté du 14 novembre 2024, la Cour de cassation ajoute un effet supplémentaire tenant au défaut de signature du salarié, à savoir l’absence de départ du délai de prescription.

 

On notera ici que la Cour estime qu’un évènement aussi contraignant qu’une incarcération n’est pas une cause suffisante pour interrompre ou suspendre le délai de prescription.

 

Cet arrêt renvoie à la question plus générale de l’impérieuse nécessité de s’assurer de la réelle signature des documents relatifs à la relation de travail, dont les conséquences plurielles peuvent nuire à l’employeur, notamment à l’occasion de l’exécution de contrats dits précaires.

 

Ainsi, la Cour de cassation estime avec constance qu’un contrat de travail à durée déterminée qui n’aurait pas été signé par le salarié doit être considéré comme un défaut d’écrit et entraîne la requalification en contrat à durée indéterminée (Cass, Soc. 9 décembre 2020, n° 19-16.138 ;Cass, Soc. 2 mars 2022, n° 20-17.454 ; Cass, Soc. 24 mai 2023, n° 22-11.674).

 

Dans un arrêt très récent, la Cour a eu l’occasion de préciser que la signature d’un contrat de travail à durée déterminée (CDD) a le caractère d’une prescription d’ordre public, de sorte qu’il est impossible de déroger à cette règle par un quelconque moyen et qu’il n’en va autrement que lorsque le salarié a délibérément refusé de signer le contrat de travail de mauvaise foi ou dans une intention frauduleuse (Cass, Soc. 22 mai 2024, n°22-11.623).

 

De plus, en cas d’irrégularité du CDD, l’article L. 1248-6 du Code du travail expose l’employeur à des sanctions pénales, à savoir au paiement d’une amende pouvant aller jusqu’à 3.750 € (x5 pour les personnes morales) et 6 mois de prison et 7.500 € en cas de récidive (x5 pour les personnes morales).

 

Pour ce qui a trait au contrat de mission, la Haute Juridiction, il y a peu, a confirmé sa position constante, à savoir que l’absence de signature du travailleur intérimaire justifie une demande de requalification en CDI aux torts de l’entreprise de travail temporaire (Cass, Soc. 27 mars 2024, n° 22-23.528).

 

Il est intéressant de souligner que la Cour de cassation sanctionne de la même manière le défaut de signature du contrat de mission par l’entreprise de travail temporaire, et ce quand bien même l’intérimaire aurait régularisé ledit contrat (Cass, Soc. 11 octobre 2023, n° 22-15.122 ).

 

Des limites sont toutefois fixées par les juges eu regard de l’intention de l’intérimaire :

 

  • Si ce dernier s’est délibérément abstenu de signer le contrat de mission, il ne peut se prévaloir du défaut de signature pour obtenir la requalification du contrat de travail en un contrat à durée indéterminée (Cass, 11 mars 2009, n° 07-44.433 ).

 

  • S’il a refusé de signer son contrat de mission ( soc., 24 mars 2010, n° 08-45.552 ; Cass, Soc. 9 mars 2011, n° 09-65.433).

 

Ainsi, du contrat de travail au solde de tout compte, l’employeur, et notamment son service de ressources humaines, doit prendre la mesure des conséquences qu’emporte le défaut de signature des documents par le salarié dans le cadre de la relation de travail et se doit d’être rigoureux dans le formalisme retenu.

 

*

 

Le Département Social du cabinet Péchenard & Associés répond à toutes vos questions sur la formation, l’exécution et la rupture du contrat de travail, et se tient à votre disposition pour échanger tant au titre de son activité de conseil que dans le cadre de contentieux en cours ou à venir.

 

 

 

Pour toute information, contactez Julie De Oliveira (deoliveira@pechenard.com).