Par une série de trois arrêts en date du 13 septembre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation, réunie en formation plénière de chambre, a mis fin à une dichotomie juridique observée entre le droit français et le droit de l’Union Européenne depuis des décennies sur le régime d’acquisition des congés payés des salariés exerçant sur notre territoire national.
Désormais, tout salarié est réputé acquérir des congés payés au cours de la période où celui-ci est placé sous le régime de l’arrêt maladie pour motif non professionnel.
La Cour de cassation vient de statuer en ce sens :
« S’agissant d’un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, les dispositions de l’article L. 3141-3 du code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l’exécution d’un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l’Union européenne.
Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale.
Il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L. 3141-3 du code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un travail effectif l’acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.
La cour d’appel, après avoir, à bon droit, écarté partiellement les dispositions de droit interne contraires à l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, a exactement décidé que les salariés avaient acquis des droits à congé payé pendant la suspension de leur contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle.
Le moyen n’est donc pas fondé » (Cass, Soc. 13 septembre 2023, n°22-17.340, 22-17.341, 22-17.342 P + R).
De surcroit, la Haute Juridiction reconnait à présent au salarié un délai de 3 ans à compter du moment où l’employeur a pris les mesures nécessaires pour lui permettre d’exercer effectivement son droit à congés payés pour engager une demande en rappel de salaire :
« la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, et l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur au titre d’une période de référence est prescrit à l’issue d’un délai de trois ans qui commence à courir à la fin de l’année au cours de laquelle ce droit est né, lorsque l’employeur n’a pas effectivement mis le travailleur en mesure d’exercer ce droit (même arrêt).
Par ailleurs, la Cour de cassation juge qu’il appartient à l’employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombaient légalement (Soc., 13 juin 2012, n° 11-10.929, Bull. V, n° 187 ; Soc. 21 septembre 2017, n° 16-18.898, Bull. V, n° 159).
Il y a donc lieu de juger désormais que, lorsque l’employeur oppose la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congés payés doit être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé » (Cass, Soc. 13 septembre 2023, n°22-10.529 et 22-11.106 Jonction, P + R).
Enfin, la Haute Cour déclare contraire aux conventions européennes et donc inapplicable en droit interne la disposition du Code du travail limitant à un an l’indemnité compensatrice de congé payé en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle :
« S’agissant d’un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause d’accident de travail ou de maladie professionnelle, au-delà d’une durée ininterrompue d’un an, le droit interne ne permet pas, ainsi qu’il a été dit au point 9, une interprétation conforme au droit de l’Union européenne.
Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale.
Il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L. 3141-5 du code du travail en ce qu’elles limitent à une durée ininterrompue d’un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congé payé et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.
Pour limiter à une certaine somme la condamnation de l’employeur au titre de l’indemnité de congé payé, l’arrêt retient que l’article 7 de la directive 2003/88/CE, qui doit guider le juge dans l’interprétation des textes, n’est pas d’application directe en droit interne quand l’employeur n’est pas une autorité publique. Il ajoute que la période écoulée entre la date de l’arrêt de travail du 21 février 2014 et expirant un an après, soit le 21 février 2015, ouvre droit à congés payés, mais nullement la période qui a suivi.
En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (Cass, Soc. 13 septembre 2023, n°22-10.638 P).
Ces décisions sonnent le glas de l’exception française en la matière (I) et assoient une fois de plus la suprématie du droit communautaire sur le droit local (II). Elles laissent néanmoins les entreprises dans le flou quant à leur portée (III).
1. L’acquisition des congés payés hors contexte d’accident ou de maladie professionnelle : une exception française
Depuis 1982, le Législateur français a souhaité subordonner l’acquisition de congés payés au travail effectif du salarié. L’article L.223-2§2 du Code du travail énonçait déjà à l’époque que :
« L’absence du travailleur ne peut avoir pour effet d’entraîner une réduction de ses droits à congé plus que proportionnelle à la durée de cette absence ».
Cette disposition a survécu à la recodification du Code du travail opérée en 2007, transformant l’article L. 223-2 en l’article L. 3141-5. Les différentes évolutions législatives ont enrichi ce texte en énumérant les situations assimilées à du temps effectif de travail et donc pris en compte pour le décompte des congés payés acquis sur la période de référence.
Dans sa rédaction actuelle (issue de la Loi Travail de 2016), l’article L. 3141-5 du Code du travail dispose que :
« Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé :
1° Les périodes de congé payé ;
2° Les périodes de congé de maternité, de paternité et d’accueil de l’enfant et d’adoption ;
3° Les contreparties obligatoires sous forme de repos prévues aux articles L. 3121-30, L. 3121-33 et L. 3121-38 ;
4° Les jours de repos accordés au titre de l’accord collectif conclu en application de l’article L. 3121-44 ;
5° Les périodes, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an, pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle ;
6° Les périodes pendant lesquelles un salarié se trouve maintenu ou rappelé au service national à un titre quelconque ».
Ce régime juridique est apparu comme unique, au regard non seulement du droit interne des Etats membres de l’Union Européenne, mais surtout du droit communautaire.
Le Parlement Européen avait adopté une Directive relative à certains aspects de l’aménagement du temps de travail (Directive 2003/88/CE) dont l’article 7§1 énonçait le principe suivant :
« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales ».
A différentes reprises, la Cour de Justice de l’Union Européenne a cherché à faire rentrer le Législateur français en conformité avec le droit communautaire (CJCE, 20 janvier 2009, « Gerhard Schultz-Hoff c/ Deutsche Rentenversicherung Bund » n°C-350/06 ; CJUE, 24 janvier 2012, « Maribel Dominguez c/ Centre informatique du Centre Ouest Atlantique et Préfet de la région Centre » n°C-282/10).
Il est systématiquement argué que l’article 7§1 de la directive 2003/88 s’oppose à des dispositions ou pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé s’éteint à l’expiration de la période de référence et/ou d’une période de report fixée par le droit national même lorsque le travailleur a été en congé de maladie durant tout ou partie de la période de référence et que son incapacité de travail a perduré jusqu’à la fin de sa relation de travail, raison pour laquelle il n’a pas pu exercer son droit au congé annuel payé.
La Cour de Justice soutenait constamment que cette directive bénéficiait du principe de l’effet direct des dispositions communautaires dans les droits internes et que la France devait par conséquent transposer la règle européenne dans son droit interne Pour rappel, ce principe émane des jurisprudences fondatrices du droit communautaire (CJCE, 5 février 1963, « Van Gend en Loos c/ Administration fiscale néerlandaise », n° 26/62 ; CJCE, 15 juillet 1964, « Flaminio Costa contre E.N.E.L » n°6-64 ; CJCE, 9 mars 1978 « Administration des finances de l’État contre Société anonyme Simmenthal », n°06/77).
Jusqu’ici, la Cour de cassation s’est opposée aux injonctions permanentes de la Cour de justice de transposer son droit au détriment de la norme française (Cass, Soc. 13 mars 2013, n°11-22.285 P). ). La raison invoquée pour justifier cette opposition résidait dans l’absence d’effet direct des directives européennes et leur inopposabilité aux particuliers.
La Haute Juridiction française a infléchi sa position via les arrêts du 13 septembre 2023.
2. Une nouvelle démonstration de la suprématie du droit communautaire sur les droits internes
C’est en invoquant un tout autre texte que le Juge européen est parvenu à ses fins : la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.
Ce texte a valeur de règlement comme le prévoit l’article 6 du Traité sur l’Union Européenne dit « traité de Lisbonne » :
« L’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu’adoptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités ».
Dans un arrêt du 6 novembre 2018, la Cour de Justice de l’Union Européenne déclarait ainsi que :
« Le droit au congé annuel payé ne revêt pas seulement, en cette qualité de principe du droit social de l’Union, une importance particulière, mais il est aussi expressément consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à laquelle l’article 6, paragraphe 1, TUE reconnaît la même valeur juridique que les traités » (CJUE, 6 novembre 2018, Sebastian W. Kreuziger c/ Land Berlin, n°C‑619/16).
L’article 31§2 de la Charte susmentionnée prévoit en effet que :
« Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés ».
C’est dans ces conditions que la chambre sociale de la Cour de cassation, réunie en formation plénière de chambre dans une affaire de contestation du mode de détermination des jours de congés payés acquis, n’a eu d’autre choix que de prendre acte de l’effet direct de cette disposition de la Charte et rendre une décision contra legem le 13 septembre 2023.
Désormais, tout salarié, même placé sous le régime de l’arrêt maladie pour motif non-professionnel, acquiert des congés payés pendant toute la durée de son arrêt.
En statuant de la sorte, la Haute Cour s’est placée en juge de conventionnalité de la loi.
En effet, l’article 55 de la Constitution du 5 octobre 1958 dispose que :
« Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».
Depuis sa jurisprudence dite « société des cafés Jacques Vabre », la Cour de cassation s’est déclarée institutionnellement compétente pour procéder d’office au contrôle de conventionnalité (Cass, Chambre Mixte. 24 mai 1975, « Société des Cafés Jacques Vabre », n°73-13.556).
C’est en qualité de juge de la conventionnalité qu’elle déclare désormais que doit être écartée toute application de l’article L. 3141-5 du Code du travail.
3. Quelle portée reconnaitre aux arrêts du 13 septembre 2023 ?
En rendant ces décisions, la Cour de cassation a mis fin à ses tentatives de résistance aux dispositions communautaires et s’est placée en juge de la conventionalité des lois en déclarant que les dispositions françaises contraires à la Charte des Droits de l’Union Européenne en matière de congés payés devaient être écartées.
La vision universaliste du Législateur Européen a pris le pas sur l’exception française en assurant à tous les salariés une sacralisation du droit reconnu aux congés payés, quelle que soit leur situation dans l’entreprise.
Ainsi, il ressort de ces arrêts trois principes révolutionnaires en droit du travail français :
- le caractère professionnel de la maladie ou de l’accident ne sera plus un critère retenu pour acquérir des congés payés.
- Tout salarié dispose d’un délai de 3 ans à compter du moment où l’employeur a pris les mesures nécessaires pour lui permettre d’exercer effectivement son droit à congé payé pour engager une demande en rappel de salaire. La charge de la preuve de l’ensemble de ces diligences incombe à l’employeur.
- Il n’existe plus de limitation à un an pour le bénéfice de l’indemnité compensatrice de congé payé en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
Quid de l’impact de ces décisions pour les entreprises ?
Selon nous, il y a lieu désormais de considérer l’article L. 3141-5 du Code du travail caduc.
De surcroit, la jurisprudence bénéficiant par principe d’un effet rétroactif, ces arrêts disposent pour l’avenir mais aussi pour les évènements passés, sous réserve des délais de prescription applicables.
Ce principe de rétroactivité de la jurisprudence est constant et admis, tant en droit français (Cass, Civ, 1e, 9 octobre 2001, n°00-14.564) qu’à l’échelle européenne (CEDH, 5e section 26 mai 2011, « Legrand c/ France », n°23228/08). Il s’agit de « l’effet dispositif » de la jurisprudence.
Ainsi, dans le délai de prescription de 3 ans à compter du jour où l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre l’exercice effectif du droit à congés payés, les salariés ayant été placés en arrêt de travail pour accident ou maladie non professionnelle pourront former des demandes de rappel de salaire devant les juridictions prud’homales.
Toutefois, il n’est pas aisé de déterminer « le moment où l’employeur a effectivement pris les mesures nécessaires » dès lors que cette notion n’a pas été définie juridiquement. Est-ce la communication par l’employeur de l’ordre des départs en congé ? Ou bien le courrier adressé par l’employeur au salarié lui rappelant son droit à congé payé ? Le débat reste entier.
De plus, on peut valablement s’interroger sur le point de départ de la prescription pour les salariés qui ne font plus partie des effectifs de l’entreprise.
Malgré cette difficulté d’appréciation non encore résolue, ces arrêts devraient encourager les salariés en poste et les anciens salariés concernés à engager des actions en rappel de salaire pour une période de référence plus ou moins longue, actions dont l’issue dépendra évidemment des éléments de preuve qui pourront être produits par l’employeur.
Les impacts financiers de ce revirement de jurisprudence risquent d’être conséquents.
La Cour de cassation sera nécessairement amenée à préciser comment elle entend organiser ce revirement de jurisprudence que plusieurs auteurs de doctrine ont déjà baptisé le « big bang » du 13 septembre 2023.
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Le Département Social du cabinet Péchenard & Associés répond à toutes vos questions sur l’acquisition des congés payés et se tient à votre disposition pour échanger sur l’impact des arrêts du 13 septembre 2023, tant au titre de son activité de conseil que dans le cadre de contentieux en cours ou à venir.
Pour toute information, contactez Julie De Oliveira (deoliveira@pechenard.com).
Arrêts commentés :
- Cass, Soc. 13 septembre 2023, n°22-17.340 22-17.341 22-17.342 P + R ;
- Cass, Soc. 13 septembre 2023, n°22-10.529 et 22-11.106 Jonction, P + R ;
- Cass, Soc. 13 septembre 2023, n°22-10.638 P.