AirBnB responsable et coupable…

Par Fabien Honorat

… En tout cas pour le moment car nul doute que Airbnb va faire appel de la décision rendue le 5 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Paris.

 

Une locataire d’un logement au centre de Paris a eu l’idée de sous louer son appartement via la plateforme AirBnB.

 

Problème, son contrat de bail interdisait les sous-locations.

 

La propriétaire saisit d’abord le juge des référés afin d’obtenir de Airbnb le relevé des transactions relatif aux sous-locations de son appartement, ce que Airbnb fournit.

 

Puis elle assigne au fond sa locataire mais également solidairement Airbnb pour obtenir leur condamnation au paiement de dommages et intérêts correspondant aux loyers perçus au titre de la sous-location.

 

Si le litige entre la propriétaire et la locataire est relativement classique et juridiquement assez bien balisé du fait de l’existence d’une clause interdisant la sous-location dans le bail signé entre elles, la question de la mise en cause de Airbnb était, elle, bien plus intéressante et nouvelle.

 

La propriétaire estime que Airbnb a commis un manquement à son obligation de veiller à l’absence de contenus et d’agissements illicites sur sa plate-forme en qualité d’éditeur, dès lors qu’elle exerce un réel contrôle et une autorité sur l’ensemble des activités de ses membres.

 

Le fait est que la locataire en question avait une activité intense sur Airbnb (534 jours de sous-location en deux ans pour le seul logement concerné !) ce qui selon la demanderesse aurait dû être de nature à attirer l’attention de Airbnb et à lui faire prendre des décisions en conséquence (c’est-à-dire la suspension du compte en question).

 

Comme toutes les plateformes numériques Airbnb se présente comme un simple intermédiaire technique, un hébergeur de données, à qui la loi sur la confiance dans l’économie numérique (loi du 21 juin 2004 dite « LCEN ») confère une responsabilité allégée. En effet, les intermédiaires techniques sur Internet ne voient leur responsabilité engagée qu’à défaut d’avoir retiré à bref délai un contenu illicite qui leur aurait été notifié. La loi expose que les sociétés sous ce statut « ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu’elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. »

 

Ainsi Airbnb s’estimait dégagée de toute responsabilité vis-à-vis de l’activité de ses utilisateurs.

 

Pour contester cette position, le tribunal relève que les conditions générales d’utilisation de la plateforme font peser sur les utilisateurs des obligations contraignantes pouvant donner lieu à des sanctions (suppression du compte de l’utilisateur par la plateforme voire à des pénalités). Les juges relèvent qu’à l’inverse les utilisateurs qui respectent le mieux les obligations imposées par la plateforme se voient récompenser avec le statut de « superhost » (ce qui accroit grandement leur visibilité et donc leur potentiel économique).

 

Ce contrôle mis en place par le biais de ses conditions générales d’utilisation constitue pour le tribunal judiciaire de Paris la démonstration « du caractère actif de la démarche de la société AIRBNB dans la mise en relation des hôtes et des voyageurs et de son immixtion dans le contenu déposé par les hôtes sur sa plate-forme. »

 

Le tribunal juge ainsi que Airbnb est plus qu’un intermédiaire technique et doit être qualifié juridiquement d’éditeur au sens de la LCEN ce qui impose une pleine et entière responsabilité de l’ensemble des contenus et activités proposés via sa plateforme.

 

La conséquence est que dès lors que l’hôte exerce une activité illicite par son intermédiaire, compte tenu de son droit de regard sur le contenu des annonces et des activités réalisées par son intermédiaire en qualité d’éditeur, Airbnb commet une faute en s’abstenant de toute vérification.

 

Airbnb se trouve ainsi condamnée solidairement avec la locataire à payer à la propriétaire l’intégralité de loyers ainsi perçu de façon illicite (et accessoirement à rembourser également les commissions perçues au titre de ces locations).

 

Au-delà de l’enjeu financier, dérisoire pour Airbnb, il y a évidemment un sujet central au regard du modèle économique même de la plateforme.

 

Ce mouvement de responsabilisation des plateformes semble être un mouvement de fond qui montre d’ailleurs les limites du cadre légal posé par la loi sur la confiance dans l’économie numérique.

 

Le combat est sans doute loin d’être terminé et l’on se souviendra que dans un arrêt du 19 décembre 2019, la Cour de Justice de l’Union Européenne avait considéré que le service proposé par Airbnb était bien à titre principal « un service de la société de l’information » dont l’objet est la simple mise en relation de personnes et pas un service d’hébergement comme le réclamait les associations des professionnels du tourisme qui avaient saisi la justice.

 

Toutefois le débat ici se situe à un degré supérieur puisque si Airbnb propose bien un service de la société de l’information au sens de la directive, la question se pose de savoir si c’est à titre d’hébergeur ou d’éditeur de ce service.

 

Le tribunal a clairement tranché pour la seconde option.

 

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Fabien Honorat : honorat@pechenard.com