Un dirigeant social tient de son mandat le pouvoir d’engager la société vis-à-vis des tiers. La loi ajoute que ses limitations statutaires sont inopposables aux tiers. Mais, à l’inverse, les tiers peuvent-ils s’en prévaloir ? La troisième chambre civile de la Cour de cassation [1] répond par l’affirmative.
En l’occurrence, un groupement foncier agricole (GFA), forme particulière de société civile, représentée par son gérant avait délivré un congé afin de mettre un terme au bail le liant à son locataire.
Ce dernier saisit alors le tribunal paritaire des baux ruraux en annulation du congé. La Cour d’appel lui donne raison et annule le congé pour défaut d’autorisation par l’assemblée générale extraordinaire du GFA. La décision est doublement intéressante sur la question de l’interprétation de la clause et de l’opposabilité des limites de pouvoirs.
• La clause statutaire était ambigüe car celle-ci stipulait : « …Mais tous travaux de reconstruction ou d’amélioration, ou d’aménagement des bâtiments et des terres, toutes opérations d’acquisitions, d’aliénation ou d’échange, quelles qu’en soient et sous quelque forme qu’elles soient réalisées et emprunt par la société, même consenti par un associé et quel qu’en soit le montant, nécessiteront le concours et l’approbation de l’assemblée générale extraordinaire des associés. Il en sera de même pour tous baux ou locations à conclure ou à réaliser.»
Au visa des articles 1156 et 1158 du Code civil (ancienne numérotation), le premier juge a estimé que le terme « réaliser » devait être pris comme signifiant « résilier ». La Cour d’appel approuve cette interprétation, de même que la Cour de cassation qui considère que l’ambiguïté des termes de la clause la rendait nécessaire. Selon la Cour d’appel, la commune intention des parties était bien de conférer à l’assemblée générale extraordinaire, seule habilitée à autoriser la conclusion de baux, le pouvoir d’en approuver parallèlement la rupture.
• Cette question réglée, la Cour de cassation juge que les tiers à un GFA peuvent se prévaloir des statuts du groupement pour invoquer le dépassement de pouvoir commis par le gérant de celui-ci. Partant, le congé délivré par le GFA est entaché de nullité.
La solution n’était pas évidente puisque la jurisprudence retient qu’un manquement contractuel n’est pas susceptible de constituer une faute délictuelle à l’égard d’un tiers (Com., 18 janvier 2017, n°14-16.442 ; Civ. 3ème, 18 mai 2017, n°16-11.203).
On soulignera que le projet de réforme de la responsabilité civile propose de consacrer dans un article 1234 du Code civil la responsabilité du débiteur contractuel vis-à-vis des tiers auxquels il a directement causé un dommage par sa défaillance.
Si, en raison de l’effet relatif des contrats, le risque était de considérer que les tiers ne sont pas fondés à se prévaloir des statuts d’une société, ce n’est ni la position ni la jurisprudence de la Cour de cassation qui a déjà admis à plusieurs reprises que des tiers pouvaient invoquer des clauses de limitation de pouvoirs. Elle a ainsi admis qu’un tiers pouvait opposer le défaut de pouvoir d’un dirigeant pour exercer une action en justice au nom de la société en invoquant la violation de conditions posées par l’assemblée générale extraordinaire (Cass. com., 14 février 2018, n°16-21.077). De même avait-elle jugé qu’un salarié était fondé à se prévaloir de la violation d’une clause statutaire soumettant les licenciements à une autorisation préalable des associés pour obtenir la requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 15 février 2012, n°10-27.685).
Cela va sans dire mais cela va toujours mieux en le disant ; les statuts de société ne sont pas un contrat au sens juridique du terme.
[1] Cass. civ3, 14 juin 2018, n°16-28672