AT/MP : sur les enjeux de la communication par la CPAM de la copie des certificats médicaux de prolongation dans la procédure en contestation du taux d’IPP

Par Julie De Oliveira et Charlotte Blanc Laussel

Par deux arrêts rendus le 5 décembre 2024[1], la 2ème chambre civile de la Cour de cassation est venue rappeler que, dans le cadre d’une procédure en contestation du taux d’incapacité permanente partielle (IPP) initiée par l’employeur, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) était tenue de transmettre au secrétariat de la juridiction ainsi qu’à son adversaire et au médecin-conseil qu’il aurait éventuellement mandaté, les documents médicaux concernant l’affaire, en ce compris le certificat médical initial, les certificats médicaux de prolongation, le certificat médical final déterminant la date de consolidation ou de guérison des lésions du salarié, ainsi que l’avis du service du contrôle médical, conformément aux dispositions de l’article R. 143-8 du code de la sécurité sociale, tel qu’applicable entre le 5 juillet 2003 et le 1er janvier 2019 (sous l’empire du Décret n°2003-614 du 3 juillet 2003 relatif au contentieux de la sécurité sociale et modifiant le code de la sécurité sociale).

 

Dans ces deux affaires, deux employeurs avaient saisi le Tribunal du Contentieux de l’Incapacité (TCI) puis la Cour Nationale de l’Incapacité et de la Tarification des Accidents du Travail (CNITAAT) dans des litiges les opposant respectivement aux CPAM de l’Isère et des Côtes d’Armor, s’agissant de la contestation de deux taux d’IPP arrêtés à 13 % et 15 %, au titre de deux maladies déclarées par des salariés et prises en charge au titre de la législation professionnelle.

 

A l’appui de leur demande d’inopposabilité du taux d’IPP contesté, les employeurs faisaient tout deux valoir, qu’avant tout débat au fond devant le tribunal de l’incapacité, la CPAM n’avait pas adressé l’ensemble des certificats médicaux, notamment les différents certificats médicaux de prolongation délivrés aux salariés, ce qu’a expressément constaté la juridiction d’appel.

 

Les deux recours ont cependant été rejetés par la CNITAAT, par deux arrêts des 10 juin 2022 et 6 octobre 2022, cette dernière ayant estimé que quand bien même la Caisse n’avait pas transmis l’ensemble des documents médicaux concernant les deux affaires, elle devait néanmoins être considérée comme ayant satisfait à son obligation de transmission visée à l’article R. 143-8 du code de sécurité sociale, car cette obligation ne pouvait porter que sur les documents que la Caisse détenait en vertu d’une dérogation au secret médical prévue par la loi, de sorte que le principe du contradictoire avait bien été respecté au cas d’espèce.

 

Les deux employeurs ont alors formé un pourvoi en cassation à l’encontre des deux arrêts de la CNITAAT , à l’issue desquels la 2ème chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé les décisions attaquées, sans renvoi, avant de juger que les deux décisions de fixation des taux d’IPP attaqués étaient inopposables aux employeurs car il résultait de l’examen des dossiers que les deux CPAM n’avaient pas adressé la copie des certificats médicaux de prolongation aux employeurs.

 

Par ces deux arrêts commentés du 5 décembre 2024, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation rappelle donc qu’avant la réforme résultant du Décret n°2018-928 du 29 octobre 2018 relatif au contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale, la Caisse avait l’obligation de transmettre l’ensemble des documents médicaux concernant l’affaire, sous peine d’inopposabilité de la décision de fixation d’un taux d’incapacité à l’employeur (I.).

 

Cet arrêt est à rapprocher de l’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 6 juin 2024[2] qui, rendu sous l’empire de la réforme résultant du Décret n°2018-928 du 29 octobre 2018 précité, a jugé que l’employeur ne pouvait se prévaloir d’aucun droit acquis au maintien des anciens textes qui sanctionnaient jusqu’alors le défaut de communication des certificats médicaux de prolongation dans le cadre d’une procédure en contestation du taux d’IPP par l’inopposabilité de la décision d’attribution notifiée à l’employeur (II.).

 

 

I.  LES CONSEQUENCES DU DEFAUT DE COMMUNICATION DES CERTIFICATS MEDICAUX DE PROLONGATION SOUS L’EMPIRE DU DECRET N°2003-614 DU 3 JUILLET 2003

 

En vertu de l’ancien article R. 143-8 du code de la sécurité sociale, tel qu’issu du Décret n°2003-614 du 3 juillet 2003 applicable entre le 5 juillet 2003 et le 1er janvier 2019, « Dans les dix jours suivant la réception de la déclaration [de la réclamation contre la décision de la Caisse], le secrétariat du tribunal en adresse copie à la caisse intéressée et l’invite à présenter ses observations écrites, en trois exemplaires, dans un délai de dix jours. Dans ce même délai, la caisse est tenue de transmettre au secrétariat les documents médicaux concernant l’affaire et d’en adresser copie au requérant ou, le cas échéant, au médecin qu’il a désigné. »

 

De longue date, la Cour de cassation a sanctionné le défaut de transmission de l’ensemble des documents médicaux à l’employeur ou au médecin-conseil que ce dernier avait mandaté par l’inopposabilité de la décision attaquée, jugeant que ni l’indépendance du service du contrôle médical vis-à-vis de la Caisse, ni les réserves émises par celle-ci sur le respect du secret médical ne pouvaient exonérer les parties à la procédure du respect des principes d’un procès équitable. Ainsi, lorsque la caisse n’avait pas fourni les pièces nécessaires à un réel débat contradictoire sur la fixation du taux d’IPP d’un salarié, son employeur devait être considéré comme n’ayant pas pu exercer de manière effective son droit de recours, et la décision de la caisse fixant ce taux n’était donc pas opposable à cet employeur[3].

 

Par ailleurs, la Cour de cassation a précisé l’étendue de cette obligation incombant à la Caisse, en jugeant que l’organisme social était tenu de transmettre au secrétariat du tribunal les documents médicaux concernant l’affaire et d’en adresser également copie au requérant ou, le cas échéant, au médecin qu’il avait préalablement désigné. La 2ème chambre civile a ainsi considéré que cette obligation portait sur les documents que la Caisse détenait en vertu d’une dérogation au secret médical prévue par la loi, tels que le certificat médical initial, les certificats de prolongation, le certificat de guérison ou de consolidation et l’avis du service du contrôle médical[4].

 

Au cours de l’année 2024, la Cour de cassation a sanctionné la position de la CNITAAT à diverses reprises[5] en ce qu’elle avait refusé de prononcer l’inopposabilité de décisions fixant un taux d’IPP, en cassant et annulant les arrêts attaqués dans plusieurs affaires dans lesquelles différentes Caisses n’avaient pas transmis les certificats médicaux de prolongation, avant tout débat devant le tribunal du contentieux de l’incapacité.

 

Toutes ces affaires de contestations de décisions fixant des taux d’IPP avaient été introduites avant la réforme résultant du Décret n°2018-928 du 29 octobre 2018.

 

Dans ces affaires, la CNITAAT avait notamment justifié sa décision par le fait que les certificats médicaux de prolongation servaient à attester au cours du traitement de la nécessité d’interrompre le travail ou de prolonger le repos, et avaient seulement pour finalité de justifier du droit de la victime au bénéfice des indemnités journalières, de telle sorte que l’absence de production de ces documents n’entraînait pas nécessairement l’inopposabilité à l’égard de l’employeur de la décision de la caisse fixant le taux d’IPP[6].

 

Cette position a néanmoins été sanctionnée par la Haute Juridiction judiciaire qui a estimé que l’inopposabilité était encourue toutes les fois où la Caisse n’avait pas pleinement satisfait à son obligation de communication telle que visée à l’article R. 143-8 du code de la sécurité sociale.

 

Par les deux arrêts commentés du 5 décembre 2024, la Cour de cassation rappelle une nouvelle fois que la Caisse doit transmettre les certificats médicaux de prolongation à l’employeur ou au médecin conseil qu’il a mandaté à cet effet, sous peine d’inopposabilité de la décision fixant le taux d’IPP, dans la droite lignée de sa jurisprudence ancienne.

 

Toutefois, il est à noter que la Cour de cassation a récemment jugé que l’abrogation de l’article R. 143-8 du Code de la sécurité sociale et sa substitution par l’article R. 142-10-3 du même code par le Décret n°2018-928 du 29 octobre 2018 entraînait la disparition progressive de cette jurisprudence, jusqu’alors favorable aux employeurs.

 

 

II.  LES CONSEQUENCES DU DEFAUT DE COMMUNICATION DES CERTIFICATS MEDICAUX DE PROLONGATION SOUS L’EMPIRE DU DECRET N°2018-928 DU 29 OCTOBRE 2018

 

En vertu du II de l’actuel article R. 142-10-3 du Code de la sécurité sociale, tel qu’en vigueur depuis le 1er janvier 2019, « […] lorsque la contestation porte sur une question d’ordre médical, […] le greffe du tribunal adresse copie de la requête selon le cas à la caisse ou à l’auteur de la décision contestée, et l’invite à présenter ses observations écrites, et à les communiquer aux autres parties à l’instance dans un délai de vingt jours. La convocation du demandeur l’invite à comparaître en personne afin qu’il puisse être procédé le cas échéant à une consultation clinique à l’audience ».

 

Au regard de cette nouvelle rédaction des dispositions portant sur la contestation des décisions de la Caisse en matière de contentieux médical, la Cour de cassation a récemment été saisie d’un pourvoi formé par un employeur qui contestait l’évaluation d’un taux d’IPP. Ce dernier faisait grief à la Caisse de ne pas avoir adressé, avant tout débat devant le tribunal, l’ensemble des certificats médicaux en première instance, en particulier les certificats médicaux de prolongation et le certificat médical final.

 

L’employeur faisait également valoir qu’en l’absence de production des certificats médicaux de prolongation par la Caisse, il ne lui avait pas été possible de suivre l’évolution médicale des lésions du salarié décrite dans le certificat médical initial alors que les prolongations auraient pu permettre de corroborer l’existence de l’état antérieur rapporté par son médecin-conseil.

 

Pour rejeter sa contestation, tant le TCI que la juridiction d’appel[7] avaient considéré que l’article R. 143-8 du code de la sécurité sociale ayant été abrogé par le Décret nº2018-928 du 29 octobre 2018, il n’avait pas vocation à s’appliquer à l’instance introduite le 27 septembre 2017 devant le TCI de Rhône-Alpes.

 

Les juridictions du fond avaient également retenu qu’il appartenait à l’employeur de démontrer que les documents, dont il reprochait le défaut de communication, étaient déterminants pour fixer le taux d’IPP au cas d’espèce.

 

Dans le cadre de son pourvoi, l’employeur contestait l’arrêt attaqué au motif que l’abrogation de l’article R. 143-8 du code de la sécurité sociale était effective à compter du 1er janvier 2019 et que sa substitution par l’article R. 142-10-3 du code de la sécurité sociale ne pouvait avoir pour effet de valider rétroactivement l’absence de communication des documents médicaux pour les procédures déjà engagées, dès lors que cette transmission aurait dû être réalisée par la Caisse avant son entrée en vigueur.

 

Pour rappel, le III de l’article 17 du Décret n°2018-928 prévoit que « Les dispositions relatives à la procédure devant les juridictions sont applicables aux instances en cours ».

 

Dans ce contexte, c’est (malheureusement) mais logiquement que la 2ème chambre civile de la Cour de cassation a, par un arrêt en date du 6 juin 2024[8] rendu sous l’empire de la réforme résultant du Décret n°2018-928 du 29 octobre 2018, jugé que l’employeur ne pouvait se prévaloir d’aucun droit acquis au maintien des anciens textes qui sanctionnaient jusqu’alors le défaut de communication des certificats médicaux de prolongation dans le cadre d’une procédure en contestation du taux d’IPP par l’inopposabilité de la décision d’attribution notifiée à l’employeur, et que le moyen tiré du caractère rétroactif de l’article R. 142-10-3 du code de la sécurité sociale, en violation de l’article 2 du code civil, n’était donc pas fondé.

 

En conséquence, il ressort de l’articulation de ces différentes jurisprudences des 6 juin et 5 décembre 2024 qu’il paraît de plus en plus primordial pour l’employeur de développer une stratégie argumentative et médicale de plus en plus poussée afin d’obtenir l’inopposabilité d’une décision fixant un taux d’IPP d’un de ses salariés.

 

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Le Département Social du cabinet Péchenard & Associés répond à toutes vos questions sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, notamment en matière de contestation du taux d’IPP, et se tient à votre disposition pour échanger tant au titre de son activité de conseil que dans le cadre de contentieux en cours ou à venir.

 

 

Pour toute information, contactez Julie De Oliveira (deoliveira@pechenard.com) ou Charlotte Blanc Laussel (blanclaussel@pechenard.com)

 

[1] Cass. civ. 2, 5 décembre 2024, n° 22-20.383 et Cass. civ. 2, 5 décembre 2024, n° 22-22.342

[2] Cass. civ. 2, 6 juin 2024, n°22-19.496

[3] Cass. civ. 2, 13 novembre 2008, n° 07-18.364 ; Cass. civ. 2, 19 février 2009, n° 08-11.959

[4] Cass. civ. 2, 6 janvier 2022, n° 20-17.544

[5] Cass. civ. 2, 11 janvier 2024, n° 22-12.288 ; Cass. civ. 2, 29 février 2024, n° 22-20.835 ; Cass. civ. 2, 25 avril 2024, n° 22-14.395 ; Cass. civ. 2, 6 juin 2024, n° 22-16.773 ; Cass. civ. 2, 26 septembre 2024, n° 22-20.506

[6] Cass. civ. 2, 11 janvier 2024, n° 22-12.288 et Cass. civ. 2, 6 juin 2024, n° 22-16.773.

[7] CA Lyon, 2 juin 2022, RG n° 20/00537

[8] Cass. civ. 2, 6 juin 2024, n°22-19.496