Avant la couronne, les Miss décrochent un contrat de travail

Par Julie De Oliveira et Benjamine Schmidlin

Chaque année, des centaines de femmes se présentent au concours Miss France dans l’espoir d’être élue pour représenter leur région à l’échelle nationale.

 

29 femmes sont ainsi sélectionnées à partir de critères qui peuvent être jugés discriminatoires puisque le règlement 2021 prévoit parmi les conditions d’admissibilité :

 

« – Être inscrite à l’état civil comme étant de sexe féminin ; Être née entre le 1er janvier 1997 et le 1er novembre 2003 ; Etre de nationalité française ;

 

– Être d’une taille minimum d’1m70 sans talons ;

 

 – Ne pas être ni avoir été mariée ou pacsée, ne pas avoir eu ni avoir d’enfant. »

 

Ce concours, souvent considéré comme « rétrograde » et « sexiste », a fait beaucoup de bruit au cours de ces dernières semaines sur le plan juridique puisque 3 candidates n’ayant pas été retenues, soutenues par l’association « Osez le féminisme », ont saisi le 18 octobre dernier le conseil de prud’hommes de Bobigny pour faire reconnaitre d’une part, l’existence d’un contrat de travail les liant aux sociétés Endemol Productions et Miss France en qualité de co-employeurs et d’autre part le caractère discriminatoire des critères de sélection.

 

La réaction de Madame Alexia Laroche Joubert, Présidente de la société Miss France, ne s’est pas fait attendre puisqu’elle a déclaré qu’il s’agissait d’un concours et non d’un travail avant d’ajouter que les « néo-féministes » profitaient de la visibilité du concours pour « s’offrir du buzz ».

 

Pourtant, les candidates au concours Miss France consacrent beaucoup de temps à la préparation du « show ». Elles effectuent des voyages, se plient à de nombreux entraînements au défilé, cours de bonnes manières, activités de groupe, mais également à des séances photo. Elles sont en parallèle sommées d’adopter un comportement qui ne soit pas contraire aux bonnes mœurs, à l’ordre public ou à l’esprit du concours basé sur l’élégance, sans être rémunérées en contrepartie.

 

Tout manquement au règlement est susceptible d’entrainer leur disqualification et donc des sanctions.

 

Madame Alexia Laroche Joubert, quelques jours après ses premières déclarations, a finalement déclaré que les 29 candidates au concours (seulement elles) bénéficieraient cette année et pour la première fois, d’un contrat de travail.

 

Ce revirement, bien qu’il ne soit pas totalement satisfaisant, puisqu’il semblerait que le contrat de travail ait vocation à s’appliquer uniquement le temps de la cérémonie diffusée à la télévision, sans tenir compte du mois et demi de préparation qui la précède, marque un tournant dans ce concours qui existe depuis 1920 initialement intitulé « La plus belle femme de France ».

 

Cette décision est à rapprocher de l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 25 juin 2013 (n°12-13.968) à propos d’un candidat au concours Mister France ayant obtenu la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail.

 

Dans cet arrêt, la Cour a d’abord écarté la qualification de contrat de jeu au motif que « l’élection de Mister France était un concept d’émission et non une compétition ayant une existence propre, organisée de manière autonome » et que, dans un tel contexte, « la prestation des candidats servait à fabriquer un programme audiovisuel à valeur économique ».

 

Partant de là, la Haute Juridiction a recherché l’existence d’une relation de travail considérant qu’elle « ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs » avant de confirmer l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 13 décembre 2011 (n°10/01825) : « ayant constaté que le règlement des candidats, effectivement appliqué, comportait des dispositions plaçant les participants sous l’autorité du producteur qui disposait d’un pouvoir de sanction, que le candidat s’engageait à participer aux répétitions et à l’émission pendant huit jours, qu’il acceptait expressément de se conformer au choix du producteur sur les lieux de restauration et d’hébergement, de répondre aux questions du présentateur et aux interviews au cours de l’émission, d’être filmé, d’effectuer les chorégraphies choisies par le producteur » pour caractériser « l’existence d’une prestation consistant pour les participants, pendant un temps et dans un lieu sans rapport avec le déroulement habituel de leur vie personnelle, à prendre part à des activités imposées, ce qui la distingue du seul enregistrement de leur vie quotidienne » et donc de considérer qu’il s’agissait d’un contrat de travail.

 

Le même sort a été réservé aux candidats d’émissions de téléréalité qui ont eux aussi obtenu la reconnaissance d’un contrat de travail à l’égard de la société de production, notamment dans un arrêt de la Cour de cassation du 24 avril 2013 à propos des participants du programme « L’ile de la tentation » (Cass. Civ 1, 24 avril 2013, n°11-19.091 et suivants).

 

Là encore, la Cour de cassation a jugé que « l’existence d’une relation de travail ne dépend[ait] ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ».

 

Concernant les 3 candidates au concours Miss France, l’association « Osez le féminisme » souhaite malgré tout aller plus loin et poursuivre la procédure devant le conseil de prud’hommes de Bobigny puisque la reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail (pour la phase des sélections régionales les concernant) devrait logiquement conduire à la suppression des critères de recrutement qui seront jugés discriminatoires (au-delà d’une indemnisation).

 

L’article L. 1132-1 du code du travail prévoit en effet qu’ « aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de nomination ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte (…) en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d’un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français ».

 

L’audience de conciliation est prévue le 1er décembre 2021.

 

Si aucun accord n’est trouvé à cette occasion, les parties se défendront sur le fond du dossier.

 

La décision de la juridiction prud’homale sera alors très attendue.

 

 

Pour toute information, contactez Julie De Oliveira (deoliveira@pechenard.com)