Bien s’approprier les limites du pouvoir disciplinaire

Par Julie De Oliveira et Stéphane Dauze

L’article L. 1331-1 du Code du travail, qui définit la notion de sanction disciplinaire permet de cerner les contours du pouvoir disciplinaire de l’employeur :

 

« Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération. » (L.1331-1 du Code du travail)

 

Cette définition mérite quelques explications puisque les sanctions disciplinaires sont régulièrement discutées devant les juridictions prud’homales et font l’objet d’un contentieux particulièrement dense.

 

Classiquement, le contrôle judiciaire s’exerce sur la qualification du fait fautif, la proportionnalité de la sanction choisie et la régularité de la procédure.

 

C’est ainsi que la sanction disciplinaire doit nécessairement être adaptée aux circonstances de fait, justifiée par des éléments objectifs et faire l’objet d’une procédure régulière conformément aux articles L.1332-1 à L.1332-3 du Code du travail.

 

Pour qu’il y ait sanction disciplinaire, il faut un écrit. L’article L.1331-1 précité exclut expressément les observations verbales de la notion de sanction.

 

Mais cet écrit n’est pas libre.

 

D’abord, l’employeur ne doit pas infliger de sanction pécuniaire ou discriminatoire.

 

Ensuite, l’employeur doit obligatoirement se conformer aux dispositions du règlement intérieur en vigueur lorsqu’il existe[1], et pour lequel les formalités prévues aux articles L. 1321-4[2] et R. 1321-2[3] du Code du travail ont été accomplies avant son entrée en vigueur ou toute modification ou retrait de l’une de ses clauses.

 

Ces formalités conditionnent la validité de la sanction disciplinaire et doivent impérativement être conservées en cas de contrôle administratif ou dans la perspective d’un contentieux.

 

Le règlement intérieur doit indiquer la nature et l’échelle des sanctions pouvant être prononcées (L.1321-1, 3° du Code du travail). Toute sanction, qui n’a pas été prévue, ne peut être prononcée.

 

Généralement, l’échelle des sanctions comporte sans exhaustivité : l’avertissement, le blâme, la mise à pied disciplinaire, la mutation, la rétrogradation, le licenciement disciplinaire.

 

Attention, le catalogue des sanctions ne peut pas être plus large ou plus sévère pour les salariés que celui éventuellement fixé par la convention collective applicable (CE 28 janvier 1991 n° 84586), texte auquel il convient de se reporter avant d’établir l’échelle des sanctions dans le règlement intérieur.

 

Traditionnellement, le règlement intérieur ne prévoit rien s’agissant des écrits aux termes desquels l’employeur formule des reproches à ses salariés.

 

De tels écrits (sms / emails), parfois adressés dans la précipitation, peuvent avoir toutes les caractéristiques d’une sanction disciplinaire en raison des termes choisis. Ils sont trop souvent utilisés par l’employeur à l’appui de courriers de notification ultérieurs lorsque celui-ci pense sanctionner son salarié pour la première fois.

 

Or, si des manquements du salarié ont été sanctionnés une première fois, une deuxième sanction ne peut être infligée pour ces mêmes manquements, en application de la règle non bis in idem (Cass. soc., 13 novembre 2001, n°99-42.709), en vertu de laquelle un même fait ne peut être sanctionné deux fois.

 

En pareille hypothèse, le sort de cette deuxième sanction diffère selon les cas :

 

  • s’il s’agit d’une sanction, autre qu’un licenciement, celle-ci encourt l’annulation avec disparition rétroactive de la sanction dans tous ses effets ;

 

  • si l’employeur a notifié un licenciement, celui-ci sera jugé sans cause réelle et sérieuse avec les conséquences indemnitaires afférentes.

 

L’enjeu est donc de taille et les termes utilisés pour adresser des reproches à un salarié doivent être mesurés lorsque l’employeur entend simplement faire réagir son salarié, sans le sanctionner.

 

En cas de contentieux, le juge va d’ailleurs rechercher l’intention de l’employeur.

 

Ces écrits ne doivent pas contenir des reproches ou des menaces de sanctions, ni inviter ou mettre en demeure le salarié de modifier son comportement.

 

Début 2024, la Chambre sociale de la Cour de cassation a affiné sa position sur ce qui peut être qualifié de sanction disciplinaire ou non.

 

Ont ainsi pu être qualifiés de sanction disciplinaire :

 

  • des reproches émanant de l’employeur à propos de faits fautifs, formalisés dans un courrier dans lequel il a listé des manquements et demandé au salarié de modifier son comportement, n’envisageant pas de sanction à ce stade (Cass. soc., 29 mai 2024, n° 22-19.313),

 

  • une lettre de mise en garde par laquelle l’employeur a reproché au salarié, tout en les considérant fautifs, des faits ultérieurement invoqués à l’appui de la rupture du contrat de travail (Cass. soc., 29 mai 2024, n° 22-19.313).

 

A l’inverse, n’ont pas été qualifiés de sanction disciplinaire :

 

  • l’email adressé à un salarié par l’employeur, ne comportant aucune mesure à son encontre et lui demandant de faire preuve de respect et de cesser d’être agressif et de colporter des rumeurs auprès de la clientèle et des autres salariés (Cass. soc., 20 mars 2024, n° 22-14.465) ;

 

  • la lettre invitant un salarié à s’expliquer sur les faits reprochés (Cass. soc., 15 juin 2022, n° 20-20.152).

 

Il est utile de rappeler ici le droit dont dispose chaque salarié de refuser toute mesure disciplinaire emportant une modification de son contrat de travail (rétrogradation, mutation). Si cette mesure disciplinaire a été refusée après un premier entretien préalable et que l’employeur envisage :

 

  • de prononcer un licenciement en lieu et place de la sanction refusée, il doit convoquer l’intéressé à un deuxième entretien préalable dans le délai de deux mois à compter de ce refus ;

 

  • d’y substituer une sanction disciplinaire, autre qu’un licenciement, il n’est pas tenu de convoquer l’intéressé à un nouvel entretien préalable.

 

Enfin, nous attirons votre attention sur le notion d’épuisement du pouvoir disciplinaire.

 

L’employeur peut fonder une sanction disciplinaire (dont un licenciement) sur des faits fautifs débattus lors de l’entretien préalable.

 

Cela signifie qu’il peut être reproché au salarié des faits commis antérieurement à la convocation à entretien préalable mais aussi des faits commis entre cette convocation et l’entretien lui-même.

 

En revanche, si de nouveaux faits fautifs interviennent entre l’entretien et la notification de la sanction, il faut reconvoquer le salarié à un nouvel entretien pour l’interroger sur ces faits et pouvoir les ajouter (le cas échéant) au soutien de la sanction choisie.

 

A défaut, l’employeur perd la possibilité de sanctionner ces nouveaux faits fautifs ultérieurement, à moins qu’il n’en ait eu connaissance qu’après la notification de la sanction.

 

Une sanction (ou un licenciement) décidée en violation du principe de l’épuisement du pouvoir disciplinaire encourt la nullité (le licenciement sera jugé mal fondé pour ce seul motif) quand bien même les faits reprochés au salarié seraient avérés.

 

Il s’agit donc d’un réel point de vigilance.

 

 

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Le Département Social du cabinet Péchenard & Associés répond à toutes vos questions sur le droit disciplinaire ; il se tient à votre disposition pour échanger sur ces problématiques de notification ou de contestation de sanction, tant au titre de son activité de conseil que dans le cadre de contentieux en cours ou à venir.

 

 

Pour toute information, contactez Julie De Oliveira (deoliveira@pechenard.com)

 

 

[1] Art. L.1311-2 : L’établissement d’un règlement intérieur est obligatoire dans les entreprises ou établissements employant au moins cinquante salariés. L’obligation prévue au premier alinéa s’applique au terme d’un délai de douze mois à compter de la date à laquelle le seuil de cinquante salariés a été atteint, conformément à l’article L. 2312-2 (..)

 

[2] Art. L. 1321-4 al.1 et 3 : Le règlement intérieur ne peut être introduit qu’après avoir été soumis à l’avis du comité social et économique. (…) En même temps qu’il fait l’objet des mesures de publicité, le règlement intérieur, accompagné de l’avis du comité social et économique, est communiqué à l’inspecteur du travail.

 

[3] Art. R. 1321-2 : Le règlement intérieur est déposé, en application du deuxième alinéa de l’article L. 1321-4, au greffe du conseil de prud’hommes du ressort de l’entreprise ou de l’établissement.