A quelques semaines d’intervalle, le Tribunal de Commerce de Créteil et la Cour d’Appel de Versailles ont rendu deux décisions illustrant les difficultés qui peuvent surgir dans les relations entre une entreprise et ses ex-salariés auteur ou co-auteur de créations dans le cadre de leur contrat de travail.
Ce type de litige va bien au-delà des simples et habituelles questions prud’hommales et touche à la question de la paternité des œuvres ainsi réalisées et à la légitimité de leurs usages une fois la relation salariale terminée (que ce soit suite à une démission, un accord ou un licenciement).
Le Tribunal de Commerce de Créteil avait à juger une affaire de concurrence déloyale entre deux sociétés, la seconde nouvellement créée par d’anciens salariés de la première, ce qui est toujours une source d’agacements.
Or cette société nouvelle a mis en ligne son site internet et a souhaité mettre en avant le savoir-faire de son gérant en affichant des créations que celui-ci avait réalisées (seul ou non) lorsqu’il était encore en poste chez son ancien employeur.
L’employeur en question estimait qu’un tel usage, pour faire la promotion de ce nouveau concurrent, pouvait s’apparenter à des agissements parasitaires dont l’objet est de sanctionner tout comportement qui permet à une entreprise de tirer profit sans contrepartie des efforts, des investissements, du savoir-faire, de la notoriété d’une autre.
Le raisonnement se tenait.
Le salarié se défendait lui en indiquant que cette publication avait pour seul objectif de présenter son propre savoir-faire et qu’il était indiqué sur la photographie elle-même que cette création avait été réalisée par ce salarié mais pour « une autre entreprise » (sans la citer toutefois, il ne faut pas non plus pousser trop loin le principe de bonne et saine concurrence).
Le tribunal a fait droit à l’argumentation du salarié (et de sa société qui était également mise en cause) estimant d’abord que la société plaignante n’apportait pas suffisamment de preuves quant à ses droits sur lesdites créations et qu’au-delà un tel usage ne caractérisait pas un acte de parasitisme.
Dans l’affaire soumise à la Cour d’Appel de Versailles, l’ex-salarié d’une agence de communication se plaignait de l’utilisation par son ancien employeur de certaines de ses créations après son départ négocié de l’entreprise.
Il s’agissait de créations réalisées juste avant son départ en vue d’une présentation à l’occasion d’un festival de la publicité qui devait se tenir en juin 2013. Dans le cadre du protocole il a été acté entre les parties de l’accord quant à cette utilisation sans autre contrepartie financière.
Pour toute autre utilisation (et notamment commerciale), l’ex-employeur s’engageait à solliciter l’accord préalable de son ancien salarié, accord qui serait soumis à rémunération.
Or, les créations en question n’ont pas pu être présentées lors de l’édition 2013 du festival l’agence décidant alors de les diffuser pour l’édition suivante… sans avertir son ex-salarié.
Outrages pour l’auteur bafoué qui saisit alors le tribunal !
Il a bien fait.
Le tribunal et la cour lui ont donné raison sur le principe selon lequel toute clause de cession de droits d’auteur doit s’interpréter strictement et au bénéfice de l’auteur (partie supposée faible dans la relation contractuelle). Une autorisation pour une diffusion dans un festival en 2013 tel que prévu contractuellement ne vaut pas pour celui de l’année suivante, ni pour les années d’après.
Mieux la cour applique un second principe issu du code de la propriété intellectuelle qui veut qu’une clause de cession de droits rédigée de façon trop générale doit être déclarée nulle si elle ne précise pas le domaine des droits cédés, la durée de la cession et son étendue géographique, mentions qui faisaient défaut dans le protocole signé entre les parties.
De ce fait l’utilisation des créations par l’agence devenait sans droit ni titre et l’agence a été condamnée à indemniser son ancien collaborateur.
La solution à ce type de litige se trouve souvent dans le contrat de travail qui doit anticiper et mettre en place des clauses de cession de droits et de non concurrence efficaces.