La question de l’usage d’Internet, et plus particulièrement des places de marché comme Amazon, est au cœur de l’actualité de la distribution sélective.
Depuis l’affaire Pierre Fabre (CJUE, C-439/09, 13 octobre 2011), on sait que l’interdiction faite aux membres d’un réseau de distribution sélective d’utiliser Internet pour commercialiser les produits contractuels constituent une restriction de concurrence par objet, retirant le bénéfice de l’exemption catégorielle et rendant très improbable, selon les Lignes directrices sur les restrictions verticales, une exemption individuelle.
Ainsi, aucune restriction ne doit être apportée à l’usage d’Internet, étant entendu qu’il est néanmoins possible d’imposer le respect de normes de qualité, qui doivent être globalement équivalentes à celles prévues pour les points de vente physique.
Dans ce cadre, la question du recours par les membres du réseau aux places de marché est délicate.
Jugées incompatibles avec l’image de qualité de leurs produits, les market places sont généralement honnies des marques qui opèrent un système de distribution sélective, celles-ci incluant le plus souvent dans leur contrat la prohibition pure et simple du recours aux places de marché.
Cette interdiction de principe est dans le collimateur des Autorités de la concurrence allemande et française.
L’une et l’autre ont déjà obtenu d’Adidas qu’elle y renonce (cf. communiqué de presse de l’Autorité de la concurrence du 18 novembre 2015), tandis que le Bundeskartellamt a jugé le 26 août 2015 que le système de distribution sélective d’Asics, qui incluait une telle interdiction, était contraire à l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
L’Autorité de la concurrence française (AdlC) est par ailleurs actuellement saisie d’une plainte dirigée contre Samsung, l’interdiction du recours aux places de marchés figurant au rang des pratiques dénoncées. Si les demandes de mesures conservatoires formées par le plaignant ont été rejetées par deux fois (décisions n°14-D-07 du 23 juillet 2014 et n°15-D-11 du 24 juin 2015), l’AdlC poursuit l’instruction au fond.
La Commission européenne s’est en outre saisie d’une partie de cette affaire, notamment de la question de l’interdiction des market places.
Dans ce contexte incertain, la Cour d’appel de Paris a rejeté le 2 février 2016 (Pôle 3 – Chambre 1, n°15/01542) les demandes formées en référé par Caudalie à l’encontre d’une place de marché au travers de laquelle des pharmacies membres de son réseau de distribution sélective commercialisaient les produits.
Caudalie fondait ses demandes sur l’interdiction faite aux membres de son réseau d’avoir recours aux market places, et s’appuyait sur une décision qu’elle avait obtenue devant le Conseil de la concurrence le 8 mars 2007 (n°07-D-07), aux termes de laquelle cette interdiction avait été admise.
Faisant référence aux décisions et procédures évoquées ci-dessus, la Cour a estimé que « cette interdiction de principe du recours pour les distributeurs des produits Caudalie, pour l’essentiel pharmaciens d’officine, à une plate-forme en ligne quelles qu’en soient les caractéristiques est susceptible de constituer, sauf justification objective, une restriction de concurrence caractérisée exclue du bénéfice de l’exemption communautaire individuelle visée à l’article L442-6 I 6º susvisé qui fonde les demandes litigieuses ».
Enfin, la Cour d’appel de Francfort a, par décision du 19 avril 2016, posé plusieurs questions préjudicielles à la CJUE, qui devra notamment se prononcer sur le point de savoir si l’interdiction du recours aux places de marché constituent une restriction de concurrence par objet.
La décision de la CJUE est attendue pour fin 2017 et nous serons alors fixés. Dans cette attente, il semble prudent d’estimer qu’une telle interdiction de principe fait nécessairement peser un risque important sur le réseau.