Dans une décision en date du 6 juin 2024, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation a livré une nouvelle application de la solution retenue par l’Assemblée plénière du 22 décembre 2023 à propos de l’admissibilité de la preuve obtenue de manière illicite, dans le cadre d’une action en reconnaissance d’un accident de travail et d’une faute inexcusable de l’employeur (Cass 2ème civ. 6 juin 2004, n° 22-11736).
Désormais, la preuve de la nature professionnelle de l’accident de travail peut être apportée par le salarié victime via des enregistrements audios réalisés à l’insu de l’employeur.
Pour rappel, depuis l’arrêt de principe du 22 décembre 2023, la preuve obtenue de manière illicite n’est plus automatiquement exclue si sa production est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et si l’atteinte portée est strictement proportionnée au but poursuivi. Il était question de la recevabilité de deux enregistrements audios obtenus par l’employeur à l’insu du salarié lors d’un entretien informel et d’un entretien préalable à licenciement (Cass ass. plen. 22 décembre 2023, n° 20-20.648).
Dans l’affaire du 6 juin 2024, un salarié qui se prévalait de violences verbales et physiques de la part de son employeur, à la suite d’une altercation avec ce dernier, a déclaré un accident de travail d’origine professionnelle qui a été reconnu comme tel par la caisse primaire d’assurance maladie.
L’employeur avait formé un recours auprès d’une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins d’inopposabilité de la décision de prise en charge et parallèlement le salarié avait saisi la même juridiction d’une demande de reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur.
Afin de démontrer l’origine professionnelle de son accident, le salarié avait communiqué la retranscription d’un enregistrement audio réalisé sur son téléphone portable à l’insu de son employeur. Le pôle social du Tribunal judiciaire puis la Cour d’appel avaient admis la recevabilité de cette preuve et confirmé l’existence d’un accident de travail et la faute inexcusable de l’employeur.
L’employeur s’était alors pourvu en cassation, arguant de l’irrecevabilité de la preuve recueillie à son insu.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi et approuvé la motivation des juges du fond, considérant que « la production de cette preuve était indispensable à l’exercice par la victime de son droit à voir reconnaitre tant le caractère professionnel de l’accident résultant de l’altercation que la faute inexcusable de son employeur à l’origine de celle-ci, et que l’atteinte portée à la vie privée de l’employeur était strictement proportionnée au but poursuivi d’établir la réalité des violences subies par elle et contestées par l’employeur ».
Cet arrêt est l’occasion de rappeler les modalités du contrôle opéré par le juge pour admettre la recevabilité d’enregistrements audio obtenus à l’insu de l’employeur (i) et de parcourir les arrêts récents rendus par la Cour de cassation à ce sujet en matière sociale (ii).
(i) Rappel des modalités de contrôle par le juge de la recevabilité d’enregistrements audio obtenus à l’insu de l’employeur
Dans son arrêt du 6 juin 2024, la Cour de cassation prend position à propos de l’enregistrement audio produit par le salarié à l’insu de l’employeur. La Cour reconnait au salarié le droit de produire ce mode de preuve illicite aux conditions strictes et cumulatives suivantes :
- Le recours à ces enregistrements audios doit être légitime, c’est-à-dire justifié par les circonstances ;
- le recours aux enregistrements audios doit être indispensable à l’exercice du droit à la preuve, c’est-à-dire constituer le seul moyen permettant de démontrer les faits allégués ;
- L’atteinte aux droits fondamentaux résultant du recours à ces enregistrements audios doit être strictement proportionnée au but poursuivi.
(ii) Illustrations jurisprudentielles du contrôle par le juge de la recevabilité de d’enregistrements audio obtenus à l’insu de l’employeur
Au cours de l’année 2024, plusieurs décisions portant sur la recevabilité d’enregistrements audios obtenus et produits par le salarié à l’insu de l’employeur ont été rendues par la Cour de cassation, qui n’a eu de cesse de rappeler le strict contrôle opéré par les juges sur le caractère indispensable de la preuve produite, en droit social.
Ainsi, le 17 janvier 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation a déclaré irrecevable la retranscription d’un enregistrement clandestin de l’entretien du salarié avec les membres du CHSCT produit au soutien de sa demande de résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur pour harcèlement moral.
La Cour a ici approuvé la décision de la Cour d’appel qui avait écarté des débats cet enregistrement, considérant que sa production n’était pas indispensable au soutien de ses demandes dès lors que d’autres éléments de preuve versés aux débats par le salarié laissaient présumer l’existence d’une situation de harcèlement moral (Cass soc. 17 janvier 2024, n°22-17474).
Le 2 mai 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est aussi prononcée sur le caractère indispensable de la production par un salarié se prétendant victime d’une situation de harcèlement moral, d’un procès-verbal de commissaire de justice retranscrivant des conversations téléphoniques enregistrées à l’insu de l’employeur.
La Haute Juridiction a censuré la décision d’appel qui avait jugé irrecevable cette preuve en raison de son illicéité, sans vérifier si sa production n’était pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve du salarié et si l’atteinte à la vie personnelle de l’employeur n’était pas strictement proportionnée au but poursuivi (Cass soc. 2 mai 2024, n°22-16603).
Dans un arrêt du 10 juillet 2024, la Cour de cassation a appliqué les critères de contrôle précités et a admis la recevabilité de l’enregistrement réalisé par le salarié à l’insu de l’employeur toujours dans le cadre d’un contentieux relatif à des faits de harcèlement moral, après avoir constaté que sa production était indispensable à l’exercice du droit à la preuve du harcèlement allégué et que l’atteinte portée à la vie privée de l’employeur qui en résultait était proportionnée au but ainsi poursuivi (Cass soc 10 juillet 2024, n°23-14900).
Il ressort ainsi de la jurisprudence précitée que les enregistrements clandestins constituent un mode de preuve de plus en plus usité par les salariés qui n’hésitent plus à les produire dans le cadre des contentieux prud’homaux et désormais dans les procédures d’AT/MP.
L’aisance avec laquelle il est possible d’obtenir des enregistrements à l’insu de l’employeur (par le biais du téléphone portable la plupart du temps) appelle ce dernier à la plus grande vigilance dans les échanges formels et informels avec les salariés.
Pour connaître nos recommandations pratiques, lisez notre précédent article « Revirement majeur de jurisprudence s’agissant de la recevabilité de la preuve obtenue de manière déloyale ! » de janvier 2024.
*
Le Département Social du cabinet Péchenard & Associés vous accompagne dans tous les types de contentieux de droit du travail et de droit de la sécurité sociale, dans le cadre desquels cette problématique du régime de la preuve peut se poser. Il vous assiste aussi dans la phase précontentieuse de vos dossiers, notamment pour vous aider à apprécier la valeur des pièces retenues contre un salarié dans le cadre d’une procédure disciplinaire ou dans le cadre d’une contestation du caractère professionnel d’un accident du travail.
Pour toute information, contactez Julie De Oliveira (deoliveira@pechenard.com).