Le principe « à travail égal salaire égal » obligeant l’employeur à assurer la même rémunération aux salariés placés dans une situation identique a été consacré par l’arrêt Ponsolle de la Cour de cassation (Cass. soc. 29 octobre 1996, n°92-43.680).
Depuis, la Haute juridiction a multiplié les décisions affinant les conditions dans lesquelles l’employeur pouvait valablement justifier que des salariés qui effectuent un même travail ou un travail de valeur égale dans l’entreprise soient rémunérés de manière différente.
S’agissant de l’application du principe d’égalité de traitement à la suite du transfert de contrats de travail, la question s’est posée de savoir si l’obligation légale à laquelle est tenu le nouvel employeur de maintenir les avantages contractuels que les salariés transférés détenaient chez leur ancien employeur au jour du transfert justifiait une différence de traitement à l’égard de son personnel déjà en poste.
Jusqu’à récemment, la chambre sociale de la Cour de cassation adoptait une position différente selon que le transfert était d’origine légale (sur le fondement de l’article L. 1224-1 du Code du travail) ou conventionnelle (en application d’un accord de branche prévoyant des clauses de garantie d’emploi).
Dans la première hypothèse, c’est-à-dire lorsqu’il y a transfert d’une entité économique autonome, la Cour de cassation jugeait que cette obligation légale de maintien des droits des salariés transférés justifiait une différence de traitement avec les autres salariés (Cass. soc. 11 janvier 2012, n°10-14.614).
Dans la seconde hypothèse, c’est-à-dire lorsque le maintien des contrats de travail du personnel affecté au marché transféré est organisé par un accord de branche, elle retenait que l’inégalité qui en résultait entre salariés accomplissant le même travail pour le même employeur sur le même chantier n’était pas justifiée par des raisons pertinentes et méconnaissait ainsi le principe d’égalité (Cass. soc. 15 janvier 2014, n°12-25.402).
Par un arrêt du 30 novembre 2017, la Haute Juridiction est revenue sur sa jurisprudence en cas de transfert conventionnel pour l’aligner sur celle retenue en cas de transfert légal des contrats de travail.
Désormais, elle considère que « la différence de traitement entre les salariés dont le contrat de travail a été transféré en application d’une garantie d’emploi instituée par voie conventionnelle par les organisations syndicales représentatives investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote et les salariés de l’employeur entrant, qui résulte de l’obligation à laquelle est tenu ce dernier de maintenir au bénéfice des salariés transférés les droits qui leur étaient reconnus chez leur ancien employeur au jour du transfert, n’est pas étrangère à toute considération de nature professionnelle et se trouve dès lors justifiée au regard du principe d’égalité de traitement » (Cass. soc. 30 novembre 2017, n°16-20.532 FS-PBRI).
Dans un attendu de principe, la Cour de cassation explique ce revirement de jurisprudence par « l’évolution générale de la législation du travail en matière de négociation collective et de la jurisprudence en ce qui concerne le principe d’égalité de traitement à l’égard des accords collectifs [qui] condui[sen]t à apprécier différemment la portée de ce principe à propos du transfert des contrats de travail organisé par voie conventionnelle ».
Ainsi, la Cour de cassation se réfère, d’une part, à l’article L. 1224-3-2 du Code du travail créé par la Loi Travail du 8 août 2016 et réécrit par l’ordonnance Macron n°2017-1387 du 22 septembre 2017, lequel prévoit que « lorsqu’un accord de branche étendu prévoit et organise la poursuite des contrats de travail en cas de succession d’entreprises dans l’exécution d’un marché, les salariés du nouveau prestataire ne peuvent invoquer utilement les différences de rémunération résultant d’avantages obtenus, avant le changement de prestataire, par les salariés dont les contrats de travail ont été poursuivis », qu’ils travaillent sur le même site que les salariés transférés ou sur un autre site.
Elle s’inspire, d’autre part, de sa jurisprudence récente selon laquelle les différences de traitement (entre salariés appartenant à des catégories professionnelles différentes : Cass. soc. 27 janvier 2015, n°13-22.179 ; à la même catégorie professionnelle mais occupant des fonctions distincts : Cass. 8 juin 2016, n°15-11.324 ; à des établissements différents : Cass. soc. 3 novembre 2011, n°15-18.444) issues d’un accord collectif négocié et signé par des organisations syndicales représentatives dans l’entreprise sont présumées justifiées, de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle.
Une présomption simple de légalité des accords collectifs est désormais prévue par le nouvel article L. 2262-13 du Code du travail (issu de l’ordonnance Macron n°2017-1385).
Il résulte de l’arrêt du 30 novembre 2017 destiné à une large diffusion (il sera publié au bulletin des arrêts et au bulletin d’information de la Cour de cassation, diffusé sur son site internet mais également analysé dans son rapport annuel) que le principe d’égalité de traitement ne peut plus être utilement invoqué par les salariés du nouveau prestataire pour réclamer le bénéfice d’un avantage accordé aux salariés transférés avant la poursuite des contrats et obtenir un rappel de salaire correspondant au différentiel de rémunération.
Le principe d’égalité de traitement ne peut davantage être invoqué par des salariés embauchés postérieurement ou antérieurement à l’entrée en vigueur d’un nouveau barème conventionnel.
Dans un premier arrêt du 7 décembre 2017, la Cour de cassation a en effet jugé que « sauf disposition légale contraire, un accord collectif ne peut modifier le contrat de travail d’un salarié, seules les dispositions plus favorables de cet accord pouvant se substituer aux clauses du contrat ; il en résulte que cette règle constitue un élément objectif pertinent propre à justifier la différence de traitement entre les salariés engagés antérieurement à l’entrée en vigueur d’un accord collectif et ceux engagés postérieurement, et découlant du maintien, pour les premiers, des stipulations de leur contrat de travail » (Cass. soc. 7 décembre 2017, n°16-15.109 FS-PB).
Elle a confirmé sa jurisprudence dans un second arrêt du même jour, « le principe d’égalité de traitement ne fait pas obstacle à ce que les salariés embauchés postérieurement à l’entrée en vigueur d’un nouveau barème conventionnel soient appelés dans l’avenir à avoir une évolution de carrière plus rapide dès lors qu’ils ne bénéficient à aucun moment d’une classification ou d’une rémunération plus élevée que celle des salariés embauchés antérieurement à l’entrée en vigueur du nouveau barème et placés dans une situation identique ou similaire » (Cass. soc. 7 décembre 2017, n°16-14.235).