Formalisme des cessions de titres, la Cour de cassation retourne aux basiques

Par Nicolas Sidier et Pierre Détrie

Bien que les décisions en matière de règles applicables aux transferts d’actions non cotées soient rares, la chambre commerciale de la Cour de cassation vient d’en rendre deux aux incidences pratiques très intéressantes.

 

La première a trait au formalisme applicable en matière d’ordre de mouvement. La seconde concerne quant à elle la date de transfert de propriété d’actions non cotées.

 

  1. Le formulaire Cerfa n°2759 peut valoir ordre de mouvement (Cass. com. 18-9-2024 n°22-18.436)

 

On sait que le transfert d’actions non cotées se fait habituellement à l’aide d’un document appelé ordre de mouvement signé par le cédant.

 

Cependant et comme le relève l’arrêt, aucun texte législatif ou réglementaire ne régit la forme et le contenu de ce document.

 

Dans l’espèce commentée, l’associé unique d’une SAS et son président avaient signé un formulaire Cerfa n°2759 pour prendre acte de la cession, par le premier au second, de la totalité des actions composant le capital social de la société.

 

Le formulaire Cerfa n°2759 est utilisé en principe pour déclarer les cessions de droits sociaux à l’administration fiscale et régler les droits d’enregistrement y afférents.

 

A la suite de la signature du formulaire, la cession avait été transcrite dans les registres de la société et sur le compte d’actionnaire du cessionnaire.

 

Contestant avoir cédé ses actions, l’ex associé unique révoquait par la suite le cessionnaire de ses fonctions de dirigeant et l’assignait aux fins de voir juger qu’aucune cession n’était intervenue et que la révocation était régulière.

 

Après avoir rappelé que l’article L. 228-1 du code de commerce dispose que le transfert de propriété résulte de l’inscription des valeurs mobilières au compte de l’acheteur, que l’article R. 228-10 du même code précise que l’inscription au compte de l’acheteur est faite à la date fixée par l’accord des parties et notifiée à la société émettrice et relevé que les statuts de la société prévoyaient que le transfert des actions devait s’opérer par un ordre de mouvement signé du cédant ou de son mandataire et mentionné sur le registre des mouvements de titres de la société, l’arrêt constate que la cession a fait l’objet d’une inscription dans la comptabilité de titres de la société et sur le compte d’actionnaire du cessionnaire.

 

La cour d’appel en déduit que le Cerfa en question, signé par le cédant et comportant toutes les informations nécessaires pour inscrire la cession sur le registre des mouvements de titres et le compte d’actionnaire, valait ordre de mouvement, de sorte que l’inscription de la cession dans la comptabilité de titres de la société était régulière et que le transfert de propriété était intervenu.

 

La Cour de cassation approuve l’arrêt de la cour d’appel et rejette le pourvoi. La Cour rejoint une position déjà exprimée par le comité juridique de l’Association nationale des sociétés par actions (ANSA) dans un avis de mars 2024 (avis n°24-017), déjà à propos du formulaire Cerfa n°2759.

 

On observera que les statuts de SAS se contentent généralement de prévoir que les titres émis par la société se transmettent par virement de compte à compte et que tout mouvement appelé à débiter un compte est réalisé sur instruction signée du titulaire ou de son représentant.

 

Sans plus de précisions, une simple lettre adressée par le cédant à la société pourrait valoir ordre de mouvement dès lors qu’elle comporte une instruction claire et précise du cédant ainsi que les informations nécessaires à la société pour pouvoir passer les écritures dans sa comptabilité de titres.

 

Parfois, les statuts prévoient que les cessions ne peuvent s’effectuer que sur présentation d’un ordre de mouvement normalisé fourni par la société ou font référence à un modèle d’ordre de mouvement publié sous la norme Afnor NF K 12-500 (octobre 2008), ce qui permet d’éviter toute contestation sur la forme et le contenu de l’ordre de mouvement. Dans l’avis précité, le comité juridique de l’ANSA recommandait également l’utilisation de modèles d’ordres de mouvement élaborés pas l’AFNOR ou le CFONB.

 

  1. Le cessionnaire d’actions acquiert la qualité d’actionnaire à la date de l’inscription en compte (Cass. com. 18-9-2024 n°23-18.455)

 

La seconde décision apporte des précisions importantes sur la notion d’inscription en compte et sur la date et les effets de cette inscription.

 

Elle concerne une cession d’actions de SAS intervenue en 2018 entre un cédant et deux époux cessionnaires. A la suite de ces cessions, une assemblée générale avait modifié les statuts, dans lesquels figurait la nouvelle répartition du capital.

 

En 2021, ces derniers assignaient en référé la société et le cédant afin d’obtenir la désignation d’un mandataire ad hoc chargé de convoquer une assemblée générale.

 

La société et le cédant leur ont alors opposé une fin de non-recevoir tirée de leur défaut de qualité à agir, faute d’être associés de la société.

 

L’argument est écarté par la cour d’appel :

 

–           sur le fondement du droit de la vente (article 1583 du code civil) : la cour retient que la vente est parfaite et la propriété est acquise à l’égard du vendeur dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé, et que la circonstance en l’espèce du non-paiement du prix est indifférente sur la qualité d’actionnaire ;

–           sur le fondement de l’opposabilité aux tiers qui se fait par le dépôt au registre du commerce et des sociétés de l’acte de cession et des statuts modifiés, ce qui était le cas en l’espèce ;

–           enfin, au motif que les époux cessionnaires avaient été convoqués aux assemblées générales postérieures à la cession, ce dont on pouvait déduire leur qualité d’actionnaire.

 

L’arrêt d’appel est censuré par la Cour de cassation qui rappelle qu’il résulte de la combinaison des articles L. 228-1, R. 228-8, R.228-9 et R. 228-10 du code de commerce que le transfert de propriété d’actions non cotées résulte de l’inscription de ces actions au compte individuel de l’acheteur ou dans les registres de titres nominatifs tenus par la société émettrice. Cette inscription est faite à la date fixée par les parties et notifiée à la société émettrice, cette date ne pouvant être antérieure à la notification faite à la société émettrice.

 

Il s’ensuit qu’un cessionnaire acquiert la qualité d’associé à la date effective de l’inscription par la société émettrice des actions cédées au compte individuel de ce dernier ou dans le registre de mouvement de titres de la société, la société pouvant voir sa responsabilité engagée si cette date n’est pas celle fixée par les parties.

 

Aux termes de la décision de la Cour de cassation, l’inscription peut être réalisée de façon alternative par l’inscription au compte individuel de l’actionnaire ou dans le registre des mouvements de titres. Si en pratique ces deux écritures sont généralement réalisées de façon simultanée, on peut déduire de la décision qu’une seule écriture suffit à réaliser le transfert de propriété. La Cour de cassation rejoint un avis exprimé par l’Ansa qui s’était déclarée en faveur d’une interprétation large de la notion d’inscription en compte, englobant le compte titre individuel de l’actionnaire et le registre des mouvements de titres.

 

En l’occurrence, il semble que la cession d’actions n’avait pas été transcrite dans la comptabilité de titres de la société de sorte que les époux cessionnaires n’avaient pas acquis la qualité d’actionnaire.

 

La Cour de cassation sanctionne l’erreur de la cour d’appel qui a fondé son raisonnement sur le droit de la vente et celui des cessions de parts sociales (caractère parfait de la vente dès accord des parties sur la chose et le prix, opposabilité de la cession de parts aux tiers).

 

Le transfert de propriété d’actions non cotées obéit à une autre logique qui est celle de l’inscription en compte. En l’absence d’une telle inscription, les actions demeurent la propriété du cédant et le cessionnaire ne peut prétendre à la qualité d’actionnaire.

 

L’autre précision importante de l’arrêt concerne la date d’inscription en compte. Une discussion doctrinale existait au sujet de la phrase de l’article R. 228-10 (« l’inscription (…) est faite à la date fixée par l’accord des parties ») pour savoir si les parties pouvaient conférer un effet rétroactif à une cession d’actions.

 

Il résulte de la décision commentée que cette date ne peut être antérieure à la notification faite à la société émettrice. Les parties ne peuvent donc pas fixer une date d’effet antérieure à cette notification, ce qui semble logique et être gage de sécurité pour les associés, la société et les tiers.

 

 

Pour toute information, contactez Nicolas Sider (sidier@pechenard.com) ou Pierre Détrie (detrie@pechenard.com)