La Cour de cassation exige la démonstration d’une preuve certaine d’une cause totalement étrangère au travail pour renverser la présomption d’imputabilité du malaise mortel d’un salarié aux temps et lieu de travail

Par Julie De Oliveira et Charlotte Blanc Laussel

Par un arrêt rendu le 27 février 2025[1], la 2ème chambre civile de la Cour de cassation est venue juger que la présomption d’origine professionnelle du décès d’un salarié, embauché en qualité de distributeur de prospectus, survenu lors d’un déplacement vers son véhicule afin de partir en distribution, n’était pas détruite lorsqu’il ne ressortait pas des constatations que le décès, dont l’origine était inconnue, avait une cause totalement étrangère au travail.

 

Dans cette affaire, un salarié a perdu connaissance alors qu’il se rendait à son véhicule afin de partir distribuer des prospectus. Une Structure Mobile d’Urgence et de Réanimation (SMUR) ainsi que les pompiers ont été dépêchés sur place mais les secours n’ont pas réussi à réanimer le salarié.

 

Le jour même, son employeur a déclaré cet accident du travail en précisant dans la déclaration régularisée auprès de la caisse primaire d’assurance maladie qu’aucun élément ne permettait d’affirmer que ce décès présentait une origine professionnelle.

 

Le lendemain de l’établissement de la déclaration d’accident du travail, l’employeur a indiqué à la caisse que la mise en œuvre de ses droits d’information devait être réalisée auprès de son avocat.

 

Le conseil de l’employeur a, par courrier adressé à la caisse, réaffirmé que rien ne permettait d’affirmer que le décès avait une origine professionnelle, puis l’a interrogée sur le fait de savoir si une autopsie de la victime telle que prévue à l’article L.442-4 du code de la sécurité sociale avait ou non été sollicitée.

 

Le décès du salarié a postérieurement fait l’objet d’une prise en charge par la Caisse, sans qu’aucune autopsie n’ait été mise en œuvre.

 

L’employeur a alors saisi une juridiction de sécurité sociale d’une contestation de l’opposabilité à son égard de la décision de prise en charge du malaise mortel de son salarié.

 

La juridiction de première instance a, sur demande de l’employeur, ordonné une expertise médicale judiciaire sur pièces avec pour mission de dire si l’affection révélée par le malaise mortel dont a été victime le salarié avait été provoquée par son travail habituel ou bien si elle avait été la manifestation spontanée d’un état pathologique non influencé par les conditions de travail.

 

L’expert n’a pas pu déterminer la cause exacte du décès et a finalement conclu que la mort subite était probablement la manifestation spontanée d’un état pathologique non influencé par les conditions de travail.

 

Par jugement du 25 février 2022[2], le pôle social du tribunal judiciaire de Reims a débouté l’employeur de sa demande de complément d’expertise ainsi que de sa demande d’inopposabilité de la prise en charge du décès de son salarié.

 

L’employeur a interjeté appel à l’encontre de cette décision.

 

Par arrêt du 4 octobre 2022[3], la Cour d’appel de Nancy a considéré que l’impossibilité de déterminer la cause exacte du décès n’excluait cependant pas la démonstration de l’existence d’une cause totalement étrangère au travail du malaise litigieux, qui suppose que le travail n’a joué aucun rôle dans la survenue du décès.

 

Ainsi, la Cour d’appel a jugé que « même s’il écrit [que] « cette mort subite [est] probablement la manifestation spontanée d’un état pathologique non influencé par les conditions de travail », l’utilisation par l’expert du terme « probablement » ne donne pas à ses conclusions la valeur de simple supposition, lesdites conclusions étant claires et excluant tout rôle causal de l’activité professionnelle, de telle sorte que l’accident ne peut qu’avoir une cause totalement étrangère au travail »[4].

 

La Cour d’appel a donc fait droit à la demande en inopposabilité de la décision de prise en charge du décès du salarié en retenant que malgré l’origine inconnue du décès, il ne ressortait pas du dossier que le malaise mortel était dû à ses conditions de travail.

 

La caisse primaire d’assurance maladie a alors formé un pourvoi, à l’issue duquel la 2ème chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt attaqué après avoir jugé que la Cour d’appel avait violé l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale en déclarant la décision de prise en charge du décès litigieux comme étant inopposable à l’employeur aux motifs que le malaise contesté était survenu aux temps et lieu de travail du salarié, que les causes du décès n’étaient pas connues et que tout rôle causal du travail ne pouvait être écarté.

 

Par cet arrêt commenté du 27 février 2025, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation rappelle une nouvelle fois que le décès survenu aux temps et lieu du travail est présumé d’origine professionnelle, au visa de l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale (I.).

 

La Cour de cassation vient ainsi préciser que la preuve rapportée par l’employeur de l’existence d’une cause totalement étrangère au travail doit être certaine et non seulement probable ou hypothétique, complexifiant encore davantage la tâche de l’employeur dans la réunion des éléments permettant d’illustrer que le malaise de son salarié ne saurait bénéficier de la présomption d’imputabilité (II.).

 

 

I. LA PRESOMPTION D’IMPUTABILITÉ AU TRAVAIL DU DÉCÈS D’UN SALARIÉ SURVENU AUX TEMPS ET LIEU DE TRAVAIL

 

Pour rappel, en vertu de l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale, un accident survenu au temps et au lieu de travail de la victime est présumé d’origine professionnelle, quelle qu’en soit la cause, sauf à l’employeur de rapporter la preuve d’une cause totalement étrangère au travail, et même si la cause du décès est naturelle.

 

Cette présomption d’imputabilité n’est cependant pas irréfragable et il appartient à l’employeur qui conteste l’opposabilité de la prise en charge du décès au titre de la législation professionnelle auprès de la Caisse de rapporter la preuve d’une cause totalement étrangère au travail[5].

 

Ainsi, la Cour de cassation a eu l’occasion de confirmer la position des juges du fond qui avaient estimé que la lésion mortelle d’un salarié, due à une rupture spontanée d’anévrisme de l’aorte abdominale, avait exclusivement pour origine un état pathologique préexistant, évoluant pour son propre compte, sans aucune relation avec le travail, de sorte que son décès ne relevait pas de la législation sur les risques professionnels[6]. Dans cette hypothèse, il a été jugé que même s’il est survenu sur le lieu et pendant le temps du travail, le décès du salarié résultant d’un état pathologique préexistant ne revêtait pas le caractère d’un accident de travail au sens de l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale.

 

A noter par ailleurs qu’il a déjà été jugé que la qualification d’accident de travail trouvait à s’appliquer au salarié en mission qui a le droit à la protection prévue par l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale pendant tout le temps de sa mission, peu important que l’accident soit survenu à l’occasion d’un acte professionnel ou d’un acte de la vie courante, sauf la possibilité pour l’employeur de rapporter la preuve que le salarié avait interrompu sa mission pour un motif personnel[7].

 

Tel est le cas lorsqu’un salarié effectue un détour pour se rendre chez une parente, dans un département qui n’était pas inclus dans son secteur commercial, et est ensuite victime d’un accident après avoir repris la route en direction d’Avignon où il devait, dès le lendemain, rencontrer des clients de son employeur, la Cour de cassation estimant dans cette hypothèse que la victime revenait d’une visite étrangère à son activité professionnelle, de sorte qu’elle avait ainsi interrompu sa mission pour un motif d’ordre personnel[8].

 

En revanche, le décès d’un salarié intervenu lors d’une coupure pour déjeuner dans les locaux d’un client de son employeur est présumé d’origine professionnelle[9].

 

De la même manière, le fait que le malaise cardiaque d’un salarié en situation de déplacement professionnel soit survenu à l’issue d’un rapport sexuel qualifié d’acte de la vie courante consommé dans un lieu autre que la chambre d’hôtel que son employeur lui avait réservée, ne permet pas à lui seul de considérer que le salarié s’était placé hors de la sphère de l’autorité de l’employeur, ce dernier ne justifiant pas d’un emploi du temps auquel aurait été tenu son salarié ni qu’au moment où le malaise est survenu, son salarié était soumis à des obligations professionnelles précises[10].

 

De la même manière, l’accident d’un salarié se trouvant en mission en Chine, résultant d’une blessure à la main après avoir glissé en dansant dans une discothèque a pu être qualifié d’accident du travail au sens de la législation professionnelle, car si l’action de danser dans une discothèque n’est pas un acte professionnel en tant que tel, la seule présence dans une discothèque ne peut suffire à démontrer qu’il n’existerait aucun lien entre celle-ci et l’activité professionnelle du salarié, étant donné que sa présence en ce lieu a pu avoir pour but, d’accompagner des clients ou des collaborateurs, ou de répondre à une invitation dans le cadre de sa mission et que ni l’intéressé, ni le témoin mentionné sur la déclaration d’accident, ni les personnes susceptibles de donner des informations à ce sujet n’ont été interrogés[11].

 

Dès lors, il convient d’être particulièrement vigilant quant aux instructions et emplois du temps confiés aux salariés en mission et en conserver trace afin d’être en capacité de rapporter la preuve, le moment venu, que l’accident du salarié est survenu alors qu’il avait interrompu sa mission pour un motif d’ordre personnel.

 

En l’espèce, dans l’arrêt commenté du 27 février 2025, le malaise du salarié est survenu alors qu’il se rendait à son véhicule et s’apprêtait à effectuer sa mission de distribution de prospectus. Le malaise est donc survenu aux temps et lieu du travail.

 

Dans le cadre de sa contestation, l’employeur a sollicité une expertise médicale judiciaire sur pièces qui a permis d’objectiver que le salarié décédé était en situation d’obésité́ morbide, qu’il présentait des antécédents cardiovasculaires significatifs ainsi que des troubles conductifs sur l’électrocardiogramme.

 

Toutefois, en l’espèce, ces éléments ont été jugés insuffisants pour constituer la cause totalement étrangère au travail exigée par la jurisprudence pour écarter la qualification d’accident du travail d’un malaise mortel survenu aux temps et lieu du travail.

 

En effet, il ressort des conclusions d’expertise que le salarié a présenté une mort subite dont l’origine est inconnue et que plusieurs hypothèses ont été envisagées, à savoir un infarctus du myocarde, une rupture d’anévrisme, une embolie pulmonaire ou un trouble de conduction paroxystique.

 

In fine, l’impossibilité de déterminer la cause exacte du décès du salarié a entraîné l’impossibilité pour l’employeur de rapporter la preuve de l’existence d’une cause totalement étrangère au travail qui doit être certaine et ne peut résulter sur de simples hypothèses non dénuées d’ambigüité ou d’incertitude.

 

 

II. L’EXIGENCE D’UNE PREUVE CERTAINE DE L’EXISTENCE D’UNE CAUSE TOTALEMENT ETRANGÈRE AU TRAVAIL POUR RENVERSER LA PRESOMPTION D’IMPUTABILITÉ

 

Le simple fait qu’un salarié soit décédé d’une mort subite ne suffit pas à caractériser la preuve d’une cause totalement étrangère au travail.

 

Une simple hypothèse n’est pas plus suffisante pour démontrer l’existence d’une cause totalement étrangère au travail.

 

Ainsi, en présence d’un décès survenu aux temps et lieu de travail dans des circonstances telles qu’un malaise – cardiaque ou non – l’employeur a tout intérêt à émettre les plus expresses réserves sur le lien entre l’accident et les conditions de travail de la victime, dans les 10 jours de l’établissement de la déclaration d’accident du travail.

 

Surtout, il est recommandé à l’employeur de solliciter immédiatement, par l’intermédiaire de la Caisse, la mise en œuvre d’une autopsie afin de déterminer les causes du décès de son salarié.

 

Cette demande doit être effectuée le plus rapidement possible car le temps joue contre l’employeur au regard de la mise en œuvre des dernières volontés du défunt par ses proches (à titre d’exemples : incinération du salarié décédé intervenu avant même la déclaration d’accident du travail[12], transport vers le pays d’origine de la victime pour son inhumation dans les 5 jours du décès[13]).

 

En effet, en vertu de l’article L.442-4 du code de la sécurité sociale, la caisse doit, si les ayants droit de la victime le sollicitent ou avec leur accord si elle l’estime elle-même utile à la manifestation de la vérité, demander au tribunal judiciaire dans le ressort duquel l’accident s’est produit de faire procéder à l’autopsie dans les conditions prévues aux articles 232 et suivants du code de procédure civile.

 

Si les ayants droit de la victime s’opposent à ce qu’il soit procédé à l’autopsie demandée par la caisse, il leur incombe d’apporter la preuve du lien de causalité entre l’accident et le décès. Dans cette dernière hypothèse, la présomption d’imputabilité ne trouve plus à s’appliquer[14].

 

Toutefois, la présomption d’imputabilité est maintenue lorsque l’impossibilité de pratiquer l’autopsie est la conséquence de la remise du corps de la victime à la science en exécution de la volonté du défunt dès lors qu’aucune hâte excessive ou fautive n’a été relevée et que la demande d’autopsie faite par la caisse est tardive[15].

 

Au cas présent, l’avocat de l’employeur avait interrogé l’organisme social sur le fait de savoir s’il avait ou non sollicité une autopsie de la victime telle que prévue à l’article L.442-4 du code de la sécurité sociale.

 

Or, la Caisse a fait valoir en défense que lors de la déclaration d’accident du travail, l’employeur n’avait pas émis le souhait de la mise en œuvre d’une autopsie et que son conseil lui avait uniquement demandé si elle avait sollicité une autopsie.

 

La Cour d’appel de Nancy a suivi le raisonnement de l’organisme social en retenant que l’employeur n’avait pas demandé formellement la mise en œuvre d’une telle procédure, puis a fait sienne la motivation de la Caisse selon laquelle il n’était pas utile de diligenter une autopsie car son médecin conseil avait considéré que le décès du salarié était imputable au travail, et qu’avant la survenance de ce malaise, la victime allait bien.

 

Dès lors, il convient d’être particulièrement vigilant sur la nature et la formulation de la demande expresse de mise en œuvre d’une autopsie dont l’employeur saisit la Caisse, sous peine de ne pas pouvoir objectiver la carence de l’organisme social sur ce point.

 

En l’espèce, les juges du fond ont néanmoins fait droit à la demande d’expertise médicale judiciaire formulée par l’employeur.

 

En l’absence d’autopsie, il s’agit d’un second moyen permettant à l’employeur de tenter de rapporter la preuve de l’existence d’une cause totalement étrangère au travail.

 

Toutefois, les contestations d’ordre médical relatives à un accident du travail peuvent donner lieu à une expertise technique qui, lorsque le corps de la victime n’est pas disponible, est effectuée sur pièces et n’a donc pas de force irréfragable.

 

Dès lors, si comme dans l’affaire commentée, l’expertise ne parvient pas à déterminer avec certitude les causes de la mort du salarié et émet de simples hypothèses non vérifiables, la Cour de cassation retient depuis longtemps que le décès pour une cause non déterminée au temps et au lieu de travail doit être pris en charge au titre de la législation sur les accidents du travail[16], qu’importe le fait que le salarié est mort subitement, sans plainte ni signe préalable, alors que son travail, qui ne requérait pas d’effort physique ou psychique particulier, se déroulait normalement.

 

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Le Département Social du cabinet Péchenard & Associés répond à toutes vos questions sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, notamment en matière de contestation du caractère professionnel du décès de votre salarié, et se tient à votre disposition pour échanger tant au titre de son activité de conseil que dans le cadre de contentieux en cours ou à venir.

 

 

Pour toute information, contactez Julie De Oliveira (deoliveira@pechenard.com) ou Charlotte Blanc Laussel (blanclaussel@pechenard.com)

 

 

[1] Cass. civ. 2, 27 février 2025, n° 22-23.919

[2] Tribunal Judiciaire de Reims, Pôle social, 25 février 2022, RG n°18/01049

[3] Cour d’appel de Nancy, 4 octobre 2022, RG n°22/00660

[4]  Cour d’appel de Nancy, 4 octobre 2022, RG n°22/00660, précité.

[5] Cass. civ. 2, 11 juillet 2019, n°18-19.160

[6] Cass. civ. 2, 6 avril 2004, n°02-31.182

[7] Cass. civ. 2, 16 septembre 2003, n°02-30.009

[8] Cass. civ. 2, 20 septembre 2005, n°04-30.332

[9] Cass. soc., 12 décembre 2002, n°01-20.516

[10] Cour d’appel de Paris, 17 mai 2019, RG n° 6/08787

[11] Cass. civ. 2, 12 octobre 2017, n°16-22.481

[12] Cass. soc., 14 novembre 1984, n°83-12.139

[13] Cass. soc., 21 mars 1996, n°94-15.338

[14] Cass. civ. 2, 14 décembre 2004, n°02-31.042

[15] Cass. soc., 20 janvier 1994, n°91-17.282

[16] Cass. soc. 14 janvier 1999, n°97-12.922