Depuis quelques années, le tennisman italien Jannik Sinner est devenu l’un des visages montants du tennis mondial. Grâce à son talent, sa détermination et ses résultats prometteurs, il s’est rapidement imposé comme l’un des espoirs de la nouvelle génération, rivalisant avec les plus grands noms du circuit ATP jusqu’à devenir numéro un mondial en simple messieurs. Toutefois, une récente controverse pourrait entacher sa réputation et son ascension fulgurante.
- Le contrôle antidopage
Le processus commence toujours par un contrôle antidopage. Les joueurs de tennis, comme tous les athlètes de haut niveau, sont régulièrement soumis à des tests aléatoires pendant et hors compétition.
Jannik Sinner a fourni un échantillon en compétition lors du Masters 1000 d’Indian Wells le 10 mars 2024, lequel a révélé la présence d’un métabolite du Clostebol à de faibles concentrations. Un autre échantillon, prélevé hors compétition le 18 mars 2024 juste avant le tournoi de Miami, a également révélé la présence du même métabolite, toujours à de faibles concentrations.
- La suspension provisoire
Le Clostebol est un agent anabolisant interdit en permanence en vertu de la section S1 de la Liste des produits interdits de l’Agence mondiale antidopage (AMA). Selon le Code mondial antidopage (CMAD), lorsqu’un joueur fait l’objet d’un résultat d’analyse anormal pour une substance non spécifiée comme le Clostebol, une suspension provisoire est automatiquement appliquée.
Pour les deux résultats d’analyse anormaux, Jannik Sinner a fait appel avec succès de la suspension provisoire.
- La défense de l’athlète
L’affaire a été entendue par un tribunal indépendant (auprès de Sport Resolutions) le 15 août 2024.
Jannik Sinner a admis la présence de la substance interdite dans son organisme mais a affirmé que cela était dû à une contamination accidentelle. Selon lui, son physiothérapeute, M. Naldi, a utilisé une crème médicale appelée Trofodermin (spray contenant du Clostébol en vente libre en Italie) pour traiter une coupure à son doigt entre les 5 et 13 mars 2024 sans se rendre compte qu’il s’agissait d’une substance interdite. Jannik Sinner aurait ainsi été contaminé lorsque M. Naldi l’a massé sans se laver les mains après avoir appliqué la crème sur sa coupure.
Une enquête approfondie de l’International Tennis Integrity Agency (ITIA) a suivi, de même que plusieurs entretiens approfondis avec Jannik Sinner et son équipe. À l’issue de cette enquête et conformément aux avis scientifique, l’ITIA a accepté l’explication du joueur quant à la source du Clostebol trouvé dans son échantillon et a estimé que la violation n’était pas intentionnelle.
En outre, le tribunal indépendant a accepté l’explication de Jannik Sinner selon laquelle il n’avait aucune connaissance de la présence de Clostébol dans son entourage ni de son utilisation par son physiothérapeute. Le tribunal indépendant a également relevé que Jannik Sinner avait pris toutes les précautions raisonnables en engageant une équipe qualifiée et en les alertant sur l’importance des règles antidopage. Il a également pris en compte l’avis de plusieurs experts scientifiques qui ont confirmé que la contamination croisée était plausible dans ce cas.
- La sanction
Selon la décision rendue par le tribunal indépendant de Sports Resolution le 19 août 2024, Jannik Sinner n’a pas été suspendu car il a été jugé qu’il n’avait pas commis de faute ou de négligence.
Cependant, conformément au CMAD et au Tennis Antidoping Program (TADP), les résultats du joueur, les prix et les points de classement du Masters 1000 d’Indian Wells, lors duquel le joueur a été contrôlé positif au Clostebol, ont été retirés.
En revanche, Jannik Sinner a été autorisé à conserver ses résultats et gains des compétitions postérieures à cet événement.
Karen Moorhouse, directrice générale de l’ITIA, a déclaré :
« Nous prenons tout contrôle positif très au sérieux et nous appliquerons toujours les procédures rigoureuses établies par l’AMA. L’ITIA a mené une enquête approfondie sur les circonstances qui ont conduit aux contrôles positifs, enquête à laquelle M. Sinner et ses représentants ont pleinement coopéré.
À la suite de cette enquête, l’ITIA a accepté l’explication du joueur quant à la source du clostebol et a reconnu que la présence de la substance n’était pas intentionnelle. Cela a également été accepté par le tribunal.
Nous remercions le tribunal indépendant pour la rapidité et la clarté de sa décision concernant le degré de faute du joueur. »
- Les recours
Cette décision étant susceptible d’appel, l’AMA a régularisé un recours auprès du Tribunal arbitral du sport (TAS) le jeudi 26 septembre dernier.
Cette affaire est désormais pendante devant le TAS
Analyse
Cette affaire met en lumière les défis auxquels sont confrontés les athlètes de haut niveau mais également une ligne de défense de plus en plus fréquente en matière de dopage à savoir celle de la contamination.
Elle est à mettre en parallèle avec une affaire récente, celle de la joueuse de tennis Simona Halep qui avait également plaidé la contamination (consommation d’un complément alimentaire à base de collagène contenant la substance interdite). Le tribunal indépendant avait sanctionné l’athlète d’une suspension de quatre ans réduite à neuf fois par le TAS qui a considéré que, bien que Simona Halep ait fait preuve d’une certaine faute ou négligence en n’ayant pas été suffisamment prudente lors de l’utilisation du complément alimentaire identifié, elle n’a pas commis de faute ou de négligence significative.
En effet, selon les textes, lorsque la substance interdite détectée provient d’un produit contaminé et que l’athlète « peut établir son absence de faute ou de négligence significative, la sanction est au minimum un avertissement et au maximum une interdiction d’une durée de deux ans, en fonction de son degré de faute ».
Dans une affaire encore plus récente survenue juste avant les Jeux Olympiques de Paris 2024, l’escrimeuse Ysaora Thibus avait quant à elle été blanchie par le tribunal indépendant de la Fédération International d’Escrime qui a considéré qu’elle n’avait commis aucune faute ou négligence. C’est donc la même ligne de défense que celle présentée et suivie dans l’affaire impliquant Jannik Sinner.
L’AMA a fait appel de ces deux décisions. Elle estime s’agissant précisément du cas de Jannik Sinner « que la conclusion [du tribunal indépendant] « d’absence de faute ou de négligence » n’est pas correcte au regard des règles applicables ».
Selon le CMAD, l’absence de faute ou négligence ne s’applique « que dans des circonstances exceptionnelles, par exemple si un sportif peut prouver que malgré toutes les précautions prises, il a été victime d’un sabotage de la part d’un concurrent. Inversement, l’absence de faute ou de négligence ne s’appliquerait pas dans les circonstances suivantes : […] une substance interdite est administrée à un sportif par son médecin traitant ou son entraîneur sans que le sportif en ait été informé (les sportifs sont responsables du choix de leur personnel médical et il leur incombe d’informer celui-ci de l’interdiction pour eux de recevoir toute substance interdite) ; […]. Cependant, en fonction de faits exceptionnels se rapportant à un cas particulier, tous ces exemples pourraient entraîner une sanction allégée en vertu de l’article 10.5 pour cause d’absence de faute ou de négligence significative. »
Il semblerait donc pour ces deux athlètes que l’AMA plaide l’absence de faute ou négligence significative (et non l’absence totale de faute ou négligence).
Affaires à suivre …
Pour toute information, contactez Gauthier Moreuil (moreuil@pechenard.com)