Liberté d’expression Versus RGPD : K.O technique avec arrêt de l’arbitre

Par Fabien Honorat

Dans le coin rouge, je vous présente le champion en titre : le principe constitutionnel de « liberté d’expression », invaincu en France depuis 1789 et son article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et consacré en Europe par l’article 10 de la Convention Européenne des droits de l’homme, champion du monde des libertés fondamentales toutes catégories.

 

Dans le coin bleu, le jeune challenger, le principe de protection des données personnelles, posé en Europe par le règlement général de protection des données (RGPD) depuis 2016 et qui compte déjà plusieurs combats gagnés avant la limite contre les GAFAM.

 

Le RGPD est devenu depuis 2016 un outil juridique assez efficace en précontentieux ou contentieux pour contraindre la partie adverse dans des litiges qui a priori n’ont pas directement à voir avec le traitement des données personnelles tel que le public peut l’entendre : un salarié mis à pied n’a plus accès à ses données professionnelles, il fait valoir son droit d’accès au nom du RGPD ; la voix d’une personne a été reprise à son insu : c’est une donnée personnelle dont l’usage implique en principe l’obtention d’un consentement ; un consommateur a un litige avec sa banque : il peut demander l’intégralité des données que celle-ci a agglomérées au fil des années ; une personne est nommément citée dans un journal mais une action en diffamation apparaît aléatoire ou prescrite cela constitue aussi le traitement d’une donnée personnelle dont on peut demander l’effacement….

 

C’est justement le fond de l’affaire qui se présentait devant la Cour d’Appel de Paris dans un arrêt du 20 février 2025.

 

Le journal 20 minutes a publié un article relatant les déboires judiciaires d’un ancien dirigeant d’un club de sport parisien.

 

Ce dernier avait été condamné par le tribunal judiciaire de Paris pour divers délits dont abus de confiance mais il avait interjeté appel.

 

A l’époque (2009) le journal 20 minutes avait publié un article en faisant état du jugement de première instance et de la condamnation.

 

En 2011 la Cour d’Appel avait confirmé cette condamnation tout en diminuant une partie des peines prononcées par le tribunal.

 

L’article de 20 minutes était toujours en ligne dans les archives du site et sans doute toujours mis en avant sur Google quand on tapait le nom du dirigeant en question.

 

Ainsi en 2019, le conseil du dirigeant a alors sorti son joker : le RGPD. Il a mis en demeure 20 Minutes de supprimer l’article poursuivi et de faire le nécessaire pour qu’il ne soit plus indexé par les moteurs de recherche en application des articles 17 et 21 du RGPD.

 

20 minutes décidait de mettre à jour son article en faisant état de l’arrêt de la Cour d’Appel mais sans supprimer une ligne de l’article d’origine.

 

Ce n’était pas tout à fait ce qu’espérait le dirigeant qui souhaitait qu’Internet efface totalement son passé judiciaire et son conseil assignait alors 20 Minutes sur le fondement du RGPD et du droit “à l’oubli” en demandant de supprimer l’article en question ou à tout le moins de l’anonymiser.

 

C’est ici que le combat commence.

 

20 Minutes décoche le premier uppercut et invoque le principe de liberté d’expression et d’information arguant qu’il était de l’intérêt du public de continuer d’être informé de cette affaire publique.

 

Le dirigeant restait dans son coin, la garde haute, et demandait l’application pure et simple du RGPD. En reproduisant son nom, 20 minutes traitait nécessairement l’une de ses données personnelles et qu’un traitement de données personnelles doit en principe reposé sur une base légale : le consentement de la personne concernée, l’exécution d’un contrat, l’intérêt légitime du responsable de traitement et que selon lui aucun de ces fondements n’étaient justifiés en l’espèce.

 

Le tribunal judiciaire donnait raison à 20 Minutes qui remportait donc ce premier round.

 

Le dirigeant rejoignait son coin sonné et après l’intervention des soigneurs repartait à l’attaque au gong du deuxième round en interjetant appel. Il était clairement plus agressif.

 

Il mettait en avant qu’il n’existait aucun motif légitime et impérieux de s’opposer à une demande d’opposition de traitement de ses données personnelles et rappelait les 7 critères posés par la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt du 4 juillet 2023 – M. Y. c. Belgique) pour faire droit à une demande de droit à l’oubli : la nature de l’information archivée, le temps écoulé depuis les faits rapportés, l’intérêt contemporain de l’information, la notoriété de la personne, les répercussions négatives de la persistance de l’information sur le site, le degré d’accessibilité de l’information, l’impact de la mesure sur la liberté d’expression.

 

Il estimait clairement être dans ce cas de figure.

 

C’est là que 20 Minutes a utilisé un coup bas : le journal rappelait que même le RGPD dans son article 17.3 excluait l’application du droit à l’oubli face à l’exercice du principe de liberté d’expression et d’information des organes de presse et que cette exception était justifiée « en raison du rôle essentiel de la presse dans une société démocratique ».

 

Le dirigeant allait pour la première fois au sol et était compté par les juges.

 

Ces derniers lançaient le décompte fatidique :

 

– UN : la diffusion de la condamnation pénale relevait à l’évidence du droit à l’information au moment où elle est intervenue,

 

– DEUX : le fait que 20 Minutes ait pu se tromper sur le montant des sommes détournées ou n’ait pas précisé en quoi l’arrêt d’appel avait infirmé partiellement le jugement de condamnation ne rendait pas inexactes les informations publiées,

 

– TROIS : le droit à la protection des données personnelles ne pouvait être interprété comme un droit à faire disparaître à première demande des contenus médiatiques publiés sur internet, la presse contribuant à la mission de formation de l’opinion.

 

– QUATRE : l’ancienneté des faits n’était pas opposable à 20 minutes, les informations contenues dans l’article contribuant à alimenter un débat d’intérêt général, notamment sur les liens entre l’argent et le sport.

 

– CINQ : le dirigeant se présentait comme un “homme sans aucune notoriété” ce qui était manifestement inexact et justifiait au surplus le maintien de l’article en ligne pour l’information du public,

 

– SIX : l’information en l’espèce était la publication d’une décision de justice sur un sujet d’intérêt public, et la liberté de cette publication devait être particulièrement protégée pour permettre à la justice de jouer son rôle de prévention des infractions,

 

– SEPT : le dirigeant n’avait subi aucun préjudice puisqu’il avait trouvé un emploi dans une autre fédération sportive et ce alors même que l’article était encore en ligne et même accessible sur les sites de recherches,

 

– HUIT : il est important que des condamnations de personnes “publiques “ puissent être portées à la connaissance de tous de façon libre et sans restriction,

 

– NEUF : la demande d’anonymisation était également retoquée. Au contraire les juges estimaient que la mention des éléments d’identification et l’évocation de condamnations pénales relevaient du droit à l’information du citoyen, comme toute divulgation au public d’informations, d’opinions ou d’idées, et de la liberté d’expression,

 

– DIX : le gong sonne et la Cour d’Appel rend son verdict en déclarant vainqueur 20 Minutes et en déboutant le dirigeant de toutes ses demandes.

 

Le challenger RGPD a donc perdu ce premier combat pour le titre mais nul doute que la ceinture sera à nouveau mise en jeu dans une revanche à venir.

 

Comme dirait feu Georges Foreman : it’s Rumble in the jungle !

 

 

Pour toute information, contactez Fabien Honorat (honorat@pechenard.com)