Alors que se bouclent les négociations annuelles entre fournisseurs et distributeurs, retour sur les nouveautés introduites par la loi Hamon et leur impact dans un contexte général de guerre des prix.
A l’approche du 1er mars, la tension est palpable. Fournisseurs et distributeurs jettent leurs dernières forces dans la bataille – car c’en est une – pour boucler leur négociation annuelle avant l’échéance fatidique.
Rappelons qu’à compter de cette date, les mauvais élèves risquent une amende administrative de 375.000 euros (pour les personnes morales), conformément à l’article L.441-7 du code de commerce.
Mais l’enjeu n’est pas là. L’enjeu, c’est le prix.
Cette année, la pression sur les épaules des commerciaux et des acheteurs est encore plus forte que d’habitude. Car, hormis pour certains produits alimentaires, les prix seront en principe figés jusqu’à l’année prochaine.
C’est l’une des nouveautés introduites par la loi Consommation du 17 mars 2014 (dite « loi Hamon ») à l’article L.442-6 du code de commerce, qui prohibe désormais :
- Les demandes supplémentaires en cours d’année, qui visent à maintenir ou accroître abusivement la marge ou la rentabilité. Cette interdiction s’ajoute ainsi à celle des demandes d’alignement sur les conditions commerciales obtenues par d’autres clients.
- Le fait de passer, facturer ou régler une commande à un prix différent de celui fixé par la convention annuelle, modifiée le cas échéant par avenant.
L’objectif de ces ajouts est, comme toujours, de rééquilibrer les relations industrie-commerce en dressant des garde-fous contre la puissance d’achat des enseignes, qui peuvent souhaiter obtenir en cours d’année des baisses de prix, notamment lorsqu’il apparaît qu’une centrale concurrente en a obtenu de meilleurs ou pour mettre en œuvre une stratégie déflationniste.
Cet objectif sera-t-il atteint ? Rien n’est moins sûr…
Les textes adoptés laissent en réalité une marge de manœuvre importante :
- La convention annuelle est susceptible d’être modifiée par avenant, et avec elle le prix auquel les produits peuvent être commandés, facturés et réglés. Compte tenu des moyens de pression dont disposent les enseignes, il y a fort à parier que des avenants seront en effet conclus en cours d’année. On peut ajouter à cet égard que, selon la DGCCRF, l’avenant peut être tacite si cela résulte d’une stipulation contractuelle.
- Seules les demandes qui visent à maintenir ou accroître « abusivement » la marge ou la rentabilité de l’enseigne sont prohibées. Reste donc à caractériser l’abus, ce qu’il appartiendra au juge de faire s’il est saisi (selon la DGCCRF, l’absence de contrepartie caractérise l’abus si l’équilibre économique de la convention est remis en cause). Cette formulation est au demeurant critiquable dans la mesure où elle est source d’insécurité juridique pour les opérateurs, et ce alors même qu’ils encourent une amende civile de 2.000.000 euros.
Nul doute que les enseignes, qui se livrent une farouche guerre des prix depuis deux ans, sauront exploiter ces failles.
Elles sont cependant dans le collimateur de Bercy, qui semble déterminé à exercer un contrôle accru des pratiques du secteur. Il est donc plus que jamais primordial pour les centrales d’obtenir le meilleur prix dans le cadre des négociations en cours.
C’est la raison pour laquelle certaines d’entre elles se sont regroupées l’année dernière, augmentant ainsi leur puissance d’achat en vue de ces négociations. Ces rapprochements sont eux-mêmes dans le viseur du Ministre de l’économie, qui a saisi pour avis l’Autorité de la concurrence sur leur impact concurrentiel.
Celle-ci a également été sollicitée par la Commission des affaires économiques du Sénat, qui lui a demandé de réfléchir à des propositions de modifications législatives permettant de rééquilibrer les relations commerciales entre grande distribution et industrie agro-alimentaire.
Eternel sujet du rééquilibrage des relations industrie-commerce. L’utilité d’une énième réforme – l’article L.442-6 du code de commerce a été révisé quasiment tous les deux ans depuis une quinzaine d’années – n’apparaît cependant pas évidente.
Le texte existant permet en effet déjà d’appréhender largement les pratiques susceptibles de constituer un abus (avantage disproportionné, déséquilibre significatif…), la sanction étant double : nullité des clauses correspondantes, ce qui entraîne le remboursement des sommes indues, et amende civile dont le montant peut atteindre 2.000.000 euros ou le triple du montant des sommes indûment versées.
Cependant, hormis lorsque le Ministre de l’économie en prend l’initiative, force est de constater que les actions judiciaires sur ce fondement sont rares, les fournisseurs ne voulant pas prendre le risque de représailles.
C’est seulement en cas de déréférencement que les enjeux se cristallisent : les cinq dernières années de relations commerciales peuvent en effet être passées au crible et justifier, outre une indemnité au titre de la brutalité de la rupture, le remboursement de sommes importantes.