A la suite de la transposition d’une directive européenne 2005/29/CE du 11 mai 2005, le droit français a abandonné la notion de publicité trompeuse ou mensongère pour celui de pratique commerciale déloyale.
Le cadre posé par la directive et repris aux articles L.120-1 et suivants du code de la consommation est relativement simple.
Une pratique commerciale est déloyale si elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen par rapport au produit (article 5 de la directive et L.120-1 du code de la consommation).
Sont en outre définis deux catégories précises de pratiques commerciales déloyales, à savoir les «pratiques trompeuses» et les «pratiques agressives» répondant à des critères spécifiques (articles 6 à 9 de la directive -articles L.121-1 et suivants et L.122-11 et suivants du code de la consommation).
Enfin, la directive établit une liste exhaustive de 31 pratiques commerciales qui sont réputées déloyales en toutes circonstances (sans avoir à faire l’objet d’une évaluation par le tribunal, ces pratiques sont présumées illicites).
C’est dans ce cadre que la Cour de Cassation dans un arrêt Kelkoo du 29 novembre 2011 avait cassé un arrêt de la Cour d’Appel de Grenoble.
Les juges d’appel avaient sanctionné certains agissements du comparateur de prix estimant qu’ils constituaient une pratique trompeuse au sens de l’article L.121-1 du code de la consommation et par voie de conséquence une pratique commerciale déloyale.
La Cour de Cassation leur avait reproché de ne pas avoir vérifié si les pratiques relevées sur le site étaient susceptibles d’altérer le comportement du consommateur.
En d’autres termes la Cour de Cassation jugeait en substance que pour qualifier une pratique commerciale de « trompeuse » au sens des articles L.121-1 et suivants du code de la consommation, il convenait de vérifier également si la pratique était « déloyale » et ne respectait pas les deux critères posés par l’article L.120-1.
Cette position de la Cour de Cassation paraissait parfaitement logique et conforme à l’esprit de la directive.
Un arrêt de la Cour Européenne du 19 septembre 2013 semble venir contredire cette approche (arrêt CJUE C-435/11 CHS Tour Service Gmbh / Team4 Travel Gmbh).
Il s’agissait d’un litige entre deux agences de voyage autrichiennes. La première, l’agence Team4, avait négocié contractuellement avec certains hôtels à Innsbruck une exclusivité et en avait fait un argument publicitaire.
Toutefois les hôtels en question n’ont pas respecté leur part du contrat et ont alloué certaines chambres à la seconde agence de voyage, l’agence CHS, pendant les mêmes périodes.
Cette dernière s’est alors plainte de la campagne de publicité de Team4 vantant une exclusivité qui, de fait, n’existait plus.
Au-delà de l‘analyse juridique, la situation factuelle paraissait particulièrement injuste pour la première agence doublement victime et se retrouvant pourtant accusée.
D’ailleurs les juridictions autrichiennes ont rejeté la plainte de l’agence CHS au motif notamment que la pratique en question n’était pas déloyale dans la mesure où Team4 avait tout mis en œuvre pour s’assurer la réalité de l’exclusivité et avait donc agi en respectant le critère de la diligence professionnelle, soit l’un des deux critères cumulatifs permettant de qualifié une pratique commerciale de « déloyale ».
L’affaire a été portée devant la cour suprême en Autriche qui a décidé d’interroger la Cour Européenne sur l’interprétation des dispositions de la directive de 2005.
La question posée à la Cour Européenne est synthétisée par le juge communautaire comme suit : dans le cas où une pratique commerciale satisfait déjà à tous les critères énoncés à l’article 6, paragraphe 1, de la directive pour être qualifiée de pratique « trompeuse » au sens de cette disposition, la juridiction saisie doit-elle être tenue de vérifier si cette pratique est également contraire aux exigences de la diligence professionnelle au titre de l’article 5, paragraphe 2, sous a), de cette même directive avant qu’elle puisse la considérer comme déloyale.
La Cour Européenne répond par la négative à cette question et explique que la qualification d’une pratique commerciale « trompeuse » doit être analysée uniquement au regard des critères posés par l’article 6 de la directive et par voie de conséquence sans avoir à réaliser un examen des critères posés par l’article 5 et notamment en l’espèce le respect des exigences de la diligence professionnelle.
Il s’agit donc d’une analyse à l’opposé de celle de la Cour de Cassation dans l’affaire Kelkoo, laquelle avait au contraire imposé à la Cour d’Appel une double vérification au titre des critères justifiant une pratique commerciale trompeuse (article L.121-1 du code de la consommation) et au titre des deux critères permettant de qualifier la pratique de « déloyale » (article L.120-1 du code de la consommation).
Il s’agit de façon plus générale d’un retour en arrière par rapport aux différentes décisions déjà rendues par la Cour Européenne sur la question des pratiques commerciales déloyales qui avait posé comme un dogme le principe du respect des deux critères de la directive.
On se demande ainsi dans quelles circonstances ces deux critères vont bien pouvoir jouer, puisqu’ils n’auront vocation à s’appliquer ni aux pratiques « trompeuses » ni aux pratiques « agressives ».
De façon plus pragmatique, le raisonnement de la Cour prive l’agence Team4 de son principal argument : la démonstration flagrante de sa bonne foi qui devient ainsi inopérante alors même que les faits semblent être particulièrement injustes pour cette société.