Prêts d’argent aux salariés : quand les entreprises deviennent des banques

Par Julie De Oliveira et Alexandre Majorel

Les relations de travail sont avant tout des relations humaines. Il n’est pas rare que l’employeur, sensible à la vie personnelle de ses salariés, souhaite intervenir pour les aider.

 

Cette démarche peut se traduire par des décisions unilatérales ou des accords collectifs, dont certains viennent préciser des usages au bénéfice des salariés comme le télétravail, l’organisation du temps de travail ou le bénéfice d’une prime, etc.

 

Certains employeurs vont plus loin avec l’octroi de prêts d’argent.

 

Dans quelle mesure et à quelles conditions une entreprise peut-elle consentir un prêt à l’un de ses salariés ?

 

S’il est exact qu’aucune disposition n’interdit à l’employeur de consentir un tel prêt, il lui appartient d’éviter plusieurs écueils.

 

Sur la nature du prêt

 

Le prêt consenti au salarié ne doit pas s’apparenter à une avance sur salaire. En effet, le risque serait alors de voir assujettie à cotisations sociales l’intégralité de la somme prêtée.

 

Sur la forme du prêt

 

Il sera nécessaire, dépassés les 1.500 €, de rédiger où de faire rédiger une convention de crédit entre l’employeur et le salarié concerné[1].

 

Sur la convention de crédit et ses suites

 

Dans une décision du 21 mars 2019, en réponse à une question préjudicielle, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a déclaré que le salarié devait se voir garantir les mêmes droits que ceux dont il bénéficie en qualité de consommateur :

 

« le salarié d’une entreprise et son conjoint, qui concluent avec cette entreprise un contrat de crédit, réservé, à titre principal, aux membres du personnel de ladite entreprise, destiné à financer l’acquisition d’un bien immobilier à des fins privées, doivent être considérés comme des « consommateurs », au sens de cette disposition » (CJUE, affaire C590/17, EPOUX POUVIN c/ EDF, 21 mars 2019).

 

La Cour de cassation a transposé l’analyse de la CJUE en droit français dans un arrêt du 5 juin 2019 :

 

« Attendu que, pour dire que la résiliation de plein droit du contrat est intervenue le 1er janvier 2002 et condamner les emprunteurs à payer à la société EDF une certaine somme, augmentée des intérêts au taux contractuel de 6 % l’an à compter de cette date, sauf à déduire les sommes postérieurement versées, ainsi qu’une somme au titre de la clause pénale augmentée des intérêts au taux légal à compter de la même date, l’arrêt retient que c’est en sa seule qualité d’employeur et au regard de l’existence d’un contrat de travail le liant à M. L… que la société EDF lui a octroyé, ainsi qu’à son épouse, un contrat de prêt immobilier, que cette société n’est pas un professionnel au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation, quand bien même il existerait en son sein un département particulier gérant les avances au personnel, et que les emprunteurs n’ont pas la qualité de consommateurs au sens de ce texte ;

 

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; ».(Cass, civ, 1e, 5 juin 2019, n°16-12.519, Publié au bulletin)

 

Cela signifie que le salarié s’adressera à l’employeur, dans le cadre de ce contrat, comme à un organisme de crédit ou à une banque.

 

Les conséquences pratiques de cette jurisprudence sont les suivantes :

 

L’employeur devra identifier la nature du prêt qu’il entend octroyer.

 

– Cas du crédit à la consommation :

 

Le régime du crédit à la consommation s’applique aux prêts dont le montant total « est égal ou supérieur à 200 euros et inférieur ou égal à 75 000 euros » (article L. 312-1 du Code de la consommation).

 

– Cas du crédit immobilier :

 

Le régime du crédit immobilier s’applique pour tous les prêts (article L. 313-1 du Code de la consommation) :

 

  • Destinés à financer l’achat de biens immeubles à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation ou de terrains destinés à la construction de ces immeubles ;
  • Destinés à la réalisation de travaux de réparation, d’amélioration ou d’entretien de l’immeuble ainsi acquis ;

 

En tout état de cause, l’employeur prêteur devra :

 

  • Informer et vérifier la solvabilité du salarié emprunteur en vérifiant sa capacité financière à rembourser le crédit, sous peine d’être puni d’une amende de 30.000 € et d’être déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge.

 

  • Présenter une offre de contrat portant des mentions obligatoires (qui diffèrent selon le régime applicable) prévues au titre 1er du livre III du Code de la consommation ;

 

  • Informer le salarié « consommateur » au moins une fois par an du montant du capital restant à rembourser.

 

En cas de difficulté de paiement, l’employeur pourra accorder au maximum 2 fois par an un report d’échéance à son salarié.

 

En cas de contentieux, c’est le tribunal Judiciaire qui sera compétent pour connaitre du litige.

 

Quelques spécificités sont à noter par ailleurs :

 

Pour un crédit à la consommation, l’employeur devra informer le salarié qu’il dispose d’un délai de rétractation de 14 jours calendaires à compter de la signature du contrat de crédit. A l’expiration de ce délai, le contrat est définitif et l’employeur pourra verser le montant convenu au salarié.

 

Pour un crédit immobilier, le salarié dispose d’un délai de 10 jours pour accepter l’offre de prêt. Et sous peine d’être déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge, l’employeur devra veiller à remettre au salarié une fiche précontractuelle standardisée européenne indiquant notamment le coût total du prêt, le montant des mensualités et le taux d’intérêt pratiqué.

 

Enfin, il est utile de préciser que dans la convention de prêt, l’employeur ne pourra pas prévoir de clause de résiliation de plein droit du prêt en cas de rupture du contrat de travail. Cette pratique a en effet été jugée comme abusive par la Cour de cassation dans l’arrêt susmentionné :

 

« Attendu que, pour exclure le caractère abusif de la clause stipulant la résiliation de plein droit du prêt consenti à un salarié et à son épouse en cas de rupture du contrat de travail, l’arrêt énonce que cette clause s’inscrit dans un contrat qui présente des avantages pour le salarié et équilibre ainsi la clause de résiliation de plein droit ;

 

Qu’en statuant ainsi, alors que, prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de prêt pour une cause extérieure à ce contrat, afférente à l’exécution d’une convention distincte, une telle clause crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement et à une modification substantielle de l’économie du contrat de prêt, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; » (Cass, civ, 1e, 5 juin 2019, n°16-12.519).

 

En conclusion, s’il est possible de prêter de l’argent à ses salariés, il incombe néanmoins à l’employeur de respecter les principes et engagements précités, à défaut de quoi il sera passible de sanctions et/ou ne pourra pas bénéficier de l’avantage lié au droit aux intérêts (ce qui est non négligeable) et/ou ne parviendra à recouvrer les fonds.

 

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Le Département Social du cabinet Péchenard & Associés répond à toutes vos questions sur le prêt d’argent aux salariés et se tient à votre disposition pour tout dispositif de cette nature que vous souhaiteriez mettre en place en tant qu’employeur ou dont vous bénéficiez en tant que salarié.

 

 

Pour toute information, contactez Julie De Oliveira (deoliveira@pechenard.com).

 

 

 

[1] conformément aux dispositions de l’article 1359 alinéa 1 du Code civil et de l’article 1er alinéa 1 du décret n°80-533 du 15 juillet 1980, pris pour l’application de l’article 1341 du Code civil