Au tout début de la période de confinement, la Cour de cassation est venue compléter sa jurisprudence sur le régime de la preuve des heures supplémentaires.
Il convient de rappeler selon l’article L. 3171-4 du Code du travail, « en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ».
Sans que la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune partie, selon une jurisprudence établie, le salarié qui sollicitait un rappel de salaire pour des heures supplémentaires, devait « fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande » (arrêt de principe : Cass. soc. 25 février 2004 n°01-45.441).
Au niveau européen, dans un arrêt du 14 mai 2019 (CJUE 14 mai-2019 aff. 55/18), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), saisie d’un litige collectif portant sur l’enregistrement du temps de travail journalier et la réalisation d’heures supplémentaires réalisées, est venue préciser que « les articles 3, 5 et 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (…) (devaient) être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui, selon l’interprétation qui en est donnée par la jurisprudence nationale, n’impose pas aux employeurs l’obligation d’établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ».
C’est à la lumière de cette décision de la CJUE que la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu l’arrêt commenté en date du 18 mars 2020 (n° 18-10.919).
Dans cette affaire, pour débouter le salarié de ses demandes au titre d’heures supplémentaires, la cour d’appel de Versailles avait retenu que « les documents produits devant la cour (n’avaient) pas été établis au moment de la relation contractuelle dans la mesure où ils (étaient) différents de ceux produits devant le conseil des prud’hommes à l’appui de la demande initiale ».
La Cour casse l’arrêt sur ce point, considérant que :
« aux termes de l’article L. 3171-2 du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.
Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.».
En statuant ainsi, la Cour de cassation abandonne la notion d’étaiement, source de confusion avec celle de preuve, en y substituant l’expression de présentation par le salarié d’éléments à l’appui de sa demande.
En revanche, la chambre sociale réaffirme le principe de régime de preuve partagée en matière d’heures supplémentaires et confirme sa jurisprudence antérieure à ce titre.
Il appartient plus que jamais aux juges du fond de se livrer à « une pesée des éléments de preuve produits par l’une et par l’autre des parties » (et donc ne pas se fonder sur l’insuffisance des pièces apportées par le salarié pour rejeter sa demande), au risque de se faire retoquer.
Et si après analyse des pièces versées aux débats, ils retiennent l’existence d’heures supplémentaires, les juges du fond évaluent « souverainement, sans être tenu(s) de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant ».
Aux termes de sa décision du 18 mars 2020, la Cour rappelle également les obligations pesant sur l’employeur quant au contrôle du temps de travail de ses salariés. Mais ce sujet mérite à lui seul un article dédié.
Cass. Soc. 18 mars 2020, n° 18-10.919
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