Etude comparative entre l’ancien article 6-I-2 de la LCEN et l’article 6 du DSA

Par Fabien Honorat

Evolution du régime de responsabilité des plateformes et hébergeurs sur le web

 

Rien que ce titre démontre quel niveau d’abstraction ont atteint nos législateurs français et européens et quel niveau de courage ou d’inconscience il faut à un lycéen pour cocher la case « université de droit » dans l’algorithme de Parcoursup.

 

De quoi parlons-nous ici ? De la responsabilité des hébergeurs de contenus sur Internet. C’est-à-dire dans quelle mesure un hébergeur est responsable des contenus mis en ligne par les utilisateurs de sa plateforme.

 

C’est quoi un hébergeur ?  C’est une société dont l’activité est de stocker des données (textes, photos, sons, messages…) sur des serveurs informatiques à la demande d’un utilisateur.

 

Cette responsabilité était encadrée par l’article 6-I-2 de la Loi sur la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 juin 2004 (la fameuse LCEN !) qui a …. disparu suite à la modification de cette loi par la transposition approximative en droit français du Règlement européen du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques (plus connu sous son acronyme anglais Digital Service Act -DSA- car ça fait américain !).

 

Le législateur français n’avait pas besoin de transposer le DSA car s’agissant d’un Règlement Européen il est d’application direct.

 

Le principe de la responsabilité des hébergeurs se retrouve ainsi dorénavant dans l’article 6 du DSA.

 

Comment s’articule ce nouveau texte par rapport à l’ancien ?

 

Le principe reste le même à savoir que les hébergeurs ne sont pas ab initio responsables des contenus qui sont transmis, stockés ou diffusés par leurs utilisateurs sur leurs serveurs ou leurs plateformes.

 

Il faut noter une particularité prévue par le DSA pour toute infraction au code de la consommation pour les marketplaces, dans ce cas la marketplace sera directement responsable du contenu même si celui-ci émane de vendeurs tiers utilisateurs de la plateforme.

 

C’est toutefois dans l’exception que ce joue l’enjeu de cette comparaison entre l’ancien et le nouveau texte.

 

Ainsi l’ancien article 6-I-2 prévoyait à titre d’exception que la responsabilité d’un hébergeur pouvait être directement engagée pour des contenus mis en ligne par des internautes s’il était démontré :

 

  • Qu’il avait « effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite »

 

  • ou à partir du moment où il en eu connaissance il n’a pas retiré promptement lesdits contenus.

 

La question centrale de ce mécanisme était de définir la notion de contenu « manifestement illicite ». Les tribunaux ont ainsi pu juger que ce caractère « manifestement illicite » ne pouvait être « que la conséquence d’un manquement délibéré à une disposition de droit positif explicite et dénuée d’ambiguïté » (CA Versailles 13 octobre 2020).

 

L’article 6 du DSA, donc maintenant applicable, nous dit que la responsabilité de l’hébergeur peut être engagée si :

 

  • Il est démontré qu’il avait « effectivement connaissance de l’activité illégale ou du contenu illicite »

 

  • ou à partir du moment où il en eu connaissance il n’a pas retiré promptement lesdits contenus.

 

On voit que la seule différence est la notion de contenus « manifestement » illicites qui a disparu.

 

La DSA défini par ailleurs la notion de “contenu illicite” : « toute information qui, en soi ou par rapport à une activité, y compris la vente de produits ou la fourniture de services, n’est pas conforme au droit de l’Union ou au droit d’un État membre qui est conforme au droit de l’Union, quel que soit l’objet précis ou la nature précise de ce droit (DSA) »

 

Donc pour le DSA un contenu illicite est un contenu qui est simplement contraire à la loi (européenne ou nationale).

 

Il semble donc que le DSA soit d’application plus large que l’ancien article de la LCEN sur ce point même si la frontière entre un contenu manifestement illicite et seulement illicite sera sans doute assez ténue et donnera lieu à quelques joutes judiciaires.

 

En réalité cette question est sans doute purement rhétorique car le DSA, tout comme la LCEN avant lui, impose à un tiers qui considère qu’un contenu présent sur une plateforme est illicite d’adresser une notification reprenant un certain nombre d’éléments.

 

Si cette notification est conforme alors l’hébergeur est présumé avoir connaissance de l‘illicéité du contenu et doit le retirer dans un bref délai (24 heures selon la jurisprudence) à défaut il peut être directement responsable de ce contenu.

 

Là encore la LCEN et le DSA comporte des points de ressemblances et des divergences.

 

La LCEN imposait dans la notification de préciser les informations suivantes :

 

  • L’identification du notifiant

 

  • La description du contenu litigieux

 

  • La localisation précise du contenu litigieux (adresse URL)

 

  • Les motifs légaux pour lesquels le contenu litigieux devrait être retiré ou rendu inaccessible (cela impose de citer le texte de loi qui fait l’objet de l’infraction ou de qualifier au moins juridiquement cette infraction)

 

  • La copie de la correspondance adressée à l’auteur du contenu litigieux demandant leur retrait ou la justification de ce que l’auteur n’a pu être contacté (auteur anonyme par exemple)

 

Le DSA impose lui dans la notification de préciser les informations suivantes :

 

  • L’identification du notifiant (sauf en cas d’infraction à caractère sexuel ou pédopornographique)

 

  • Une indication claire de l’emplacement exact du contenu (adresse URL)

 

  • Une explication suffisamment étayée des raisons pour lesquelles le contenu serait illicite et ce sans imposer à l’hébergeur de procéder à un examen juridique détaillé du sujet

 

  • Une déclaration confirmant que le notifiant pense, de bonne foi, que les informations et les allégations que contient la notification sont exactes et complètes.

 

Ce dernier point est nouveau et à vocation à engager la responsabilité du notifiant pour éviter toute notification abusive étant observé que la LCEN prévoit toujours une peine d’un an d’emprisonnement et 15 000 Euros d’amende pour toute fausse déclaration.

 

Globalement donc les deux mécanismes restent assez proches. Toutefois le DSA retire une étape qui était imposée par la LCEN à savoir contacter préalablement l’auteur du contenu litigieux avant de notifier l’hébergeur, facilitant ainsi la mise en cause des hébergeurs.

 

Cela va dans le sens de la réglementation et de la jurisprudence sur cette question qui ont eu tendance au fur et à mesure des années à responsabiliser les plateformes vis-à-vis des contenus qu’ils hébergent.

 

 

 

Pour toute information, contactez Fabien Honorat (honorat@pechenard.com)