L’article L 1221-1 du Code du travail rappelle que le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun.
A ce titre, en cas d’inexécution par l’une ou l’autre des parties au contrat de travail de ses obligations essentielles, l’autre partie peut rompre le contrat de travail : dans le cadre d’un licenciement pour l’employeur, dans le cadre d’une prise d’acte ou d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail pour le salarié.
Création prétorienne, réservée au salarié qui est considéré comme « la partie faible » de la relation contractuelle, la résiliation judiciaire du contrat de travail vise à obtenir du juge prud’homal que le contrat de travail, toujours en cours, soit rompu aux torts de l’employeur au jour de sa décision.
Contrairement à la prise d’acte, qui oblige le salarié à prendre le risque de voir la rupture de son contrat requalifiée en démission simple, le privant de la protection de l’assurance chômage et de toute indemnité, la résiliation judiciaire permet au salarié de conserver son emploi en cas d’échec de son action.
De manière générale, pour voir ses prétentions triompher, le demandeur à la résiliation judiciaire de son contrat de travail doit prouver que les manquements de son employeur sont d’une gravité telle qu’ils empêchent la poursuite du contrat de travail.
L’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 27 septembre dernier (Cass. soc. 27 septembre 2023, n° 21-25.973) est venu apporter des précisions sur le délai dont dispose le salarié pour engager une action en résiliation judiciaire.
En l’espèce, une salariée, comptant dix ans d’ancienneté, a vu son contrat de travail suspendu en 2000, étant en congé parental puis en arrêt maladie, puis a été placée en invalidité 2ème catégorie à partir de 2009, ce dont a eu connaissance son employeur qui n’a pourtant pas pris l’initiative d’organiser une visite de reprise.
En 2015, soit 6 ans après, cette absence de visite de reprise a été invoquée par la salariée comme grief au soutien d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur.
Le conseil de prud’hommes et la cour d’appel avaient considéré que ce manquement était trop ancien et donc prescrit ; ils en avaient déduit que la salariée n’était pas recevable à demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
La Haute Juridiction n’a pas suivi le raisonnement des juges du fond en considérant que :
« Le salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison des manquements de son employeur à ses obligations, suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail. […] le juge doit examiner l’ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté (Soc., 30 juin 2021, pourvoi n° 19-18.533, publié) […] Il en résulte que l’action en résiliation judiciaire du contrat de travail peut être introduite tant que ce contrat n’a pas été rompu, quelle que soit la date des faits invoqués au soutien de la demande ».
La Cour de cassation dissipe ainsi une confusion faite par les premiers juges entre recevabilité de l’action et bien-fondé de celle-ci.
Ainsi, il faut comprendre que l’action en résiliation judiciaire est toujours possible et recevable devant le conseil de prud’hommes tant que le contrat de travail n’est pas rompu ; il n’existe pas de « prescription » des manquements de l’employeur.
La Cour de cassation souligne une nouvelle fois que l’office du juge dans un tel litige consiste à examiner la matérialité et la gravité de l’ensemble des griefs évoqués par le salarié au soutien de sa demande de résiliation, leur ancienneté n’important pas.
Ainsi, c’est seulement au stade de l’appréciation du bien-fondé de l’action, et non plus de sa recevabilité, que la date des griefs invoqués jouera un rôle quant au succès ou à l’échec des prétentions du salarié.
Comme évoqué précédemment, les griefs invoqués doivent rendre impossible la poursuite du contrat de travail. Dans ces conditions, des griefs anciens dont le salarié ne s’est jamais plaint ne sont pas à même de fonder une résiliation (Cass. soc. 9 décembre 2015, n° 14-25.148), de même que des griefs qui ne sont plus actuels (Cass. soc. 28 novembre 2018, n° 17-22.724).
Outre le fait qu’il est conseillé de toujours tenir compte des griefs dénoncés par les salariés – et y remédier s’ils sont avérés et légitimes – il faut identifier et ne pas laisser prospérer des situations où, comme en l’espèce, la relation de travail est en quelque sorte gelée, le contrat existant toujours alors que le salarié n’est plus effectivement à son poste dans l’entreprise, configurations qui permettent qu’un grief ancien, voire oublié, continue d’être actuel et entraîne un risque de condamnation pour l’employeur.
Cass. soc., 27 septembre 2023, n° 21-25.973
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Le Département Social du cabinet Péchenard & Associés répond à toutes vos questions sur la rupture du contrat de travail notamment à l’initiative d’un salarié dans le cadre d’une demande de résiliation judiciaire, tant au titre de son activité de conseil (précontentieux) que dans le cadre d’un litige en cours ou à venir.
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