Par un arrêt du 10 mars 2022 (n°20/02208), la cour d’appel de Versailles a validé le licenciement d’un salarié ayant refusé de rapprocher son domicile de son lieu de travail après son déménagement à près de 500 kilomètres.
Cette décision nous amène à nous interroger : dans quelle mesure et à quel titre l’employeur peut-il imposer un lieu de résidence à ses salariés ?
Dans cette affaire, le salarié avait déménagé en Bretagne en 2018, trois ans après son embauche, tandis que son lieu de travail se situait en région parisienne, sans en informer la direction. Quelques mois plus tard, après avoir eu connaissance de son changement de domicile, son employeur lui demandait de régulariser sa situation et de s’établir en région parisienne, considérant que cet éloignement n’était pas compatible avec son obligation de sécurité et les déplacements professionnels induits par l’activité du salarié dont les fonctions initiales avaient évolué.
Face au refus du salarié, l’employeur l’a licencié pour cause réelle et sérieuse en raison de la fixation de son domicile en un lieu trop éloigné de ses lieux d’activité professionnelle et en violation des stipulations de son contrat de travail.
Le salarié a saisi la juridiction prud’homale pour contester le bien-fondé de son licenciement en invoquant notamment une atteinte à sa liberté de choix du domicile garantie par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CEDH).
Selon lui, l’employeur ne pouvait arguer du souci de préserver sa santé, dès lors qu’il lui avait imposé de nombreux déplacements en dehors de son secteur géographique contractuel. Il contestait la violation alléguée de son contrat de travail, soulignant l’absence d’obligation concernant son domicile. Il soutenait passer moins de 17 % de son temps de travail au siège de l’entreprise.
Validant le raisonnement du conseil de prud’hommes, la cour d’appel a débouté le salarié de ses demandes et a considéré que son licenciement était justifié au motif que l’atteinte portée au libre choix du domicile personnel et familial n’était pas disproportionnée compte tenu de l’obligation essentielle de préservation de la santé et de la sécurité du salarié incombant à l’employeur.
Elle a en effet rappelé que l’employeur était débiteur d’une obligation de sécurité en application de l’article L. 4121-1 du Code du travail et qu’il était par ailleurs tenu de veiller au repos quotidien de son salarié et à l’équilibre entre sa vie familiale et sa vie professionnelle dans le cadre de la convention de forfait jours à laquelle il était soumis.
Or, la cour d’appel a relevé que le déménagement du salarié avait allongé son temps de trajet, pour se rendre au siège social de l’entreprise, de manière très significative puisqu’il était contraint d’effectuer 4h30 de trajet par la route, ou 3h30 par le train.
Au demeurant, le salarié lui-même avait sollicité son rattachement à une agence bretonne en invoquant la fatigue générée par les trajets entre son nouveau domicile et son lieu de travail. Quant à son pied à terre chez son fils situé en région parisienne, le salarié l’avait aussi estimé trop éloigné par rapport au siège social de l’entreprise.
C’est dans ces circonstances que la cour d’appel de Versailles a jugé que la demande de changement de domicile de l’employeur était légitime et que le refus du salarié de s’y soumettre était fautif.
Il reste à savoir quelle suite va être donnée à cette décision ; s’agira-t-il d’un arrêt d’espèce ou d’un arrêt à portée plus générale ?
On sait que la Cour de cassation attache une grande importance à la préservation de la liberté de choix du domicile par les salariés, considérant que les atteintes à cette liberté fondamentale découlant du droit au respect de la vie privée doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.
La Haute Juridiction va-t-elle modifier sa jurisprudence en se plaçant sur le terrain de l’obligation de sécurité comme la cour d’appel de Versailles ?
L’avenir nous le dira. A ce stade, nous ignorons si un pourvoi a été formé.
On peut penser néanmoins que le motif de préservation de la santé des salariés ne peut pas systématiquement limiter leur liberté de choix du domicile lorsque la distance entre le domicile et le lieu de travail est excessive.
Une telle appréciation se fait in concreto notamment au regard de l’organisation du travail.
Ce d’autant que la mobilité géographique est d’actualité plus que jamais avec le développement du télétravail.
Justement dans l’hypothèse où un salarié ne se rend à son bureau que 2 ou 3 jours par semaine et télétravaille le reste du temps, il n’est pas certain que l’employeur puisse se prévaloir de son obligation de sécurité pour s’opposer à un déménagement lointain ou imposer un rapprochement.
Autre point de vérification pour les juges : la stipulation ou non dans le contrat de travail d’une clause de résidence imposée, c’est-à-dire d’une clause imposant au salarié d’établir son domicile dans un certain périmètre autour de son lieu de travail (ce qui n‘était pas le cas en l’espèce).
Pour apprécier la validité d’une telle clause, les juges procèdent là aussi à une analyse de la situation du salarié au cas par cas. La clause doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et proportionnée compte tenu de l’emploi occupé et du travail demandé. Ainsi, la restriction à la liberté de choix du domicile n’est licite que dans certains secteurs d’activité et pour des postes spécifiques.
CA Versailles, 11ème chambre, 10 mars 2022, n°20/02208
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